Ce dimanche 25 mars, le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins a reçu un appel pour un rorqual à bosse échoué se débattant dans les vagues sur la plage de l’Étang du Nord aux Iles-de-la-Madeleine. La baleine a péri suite à son échouage en soirée dimanche. Une nécropsie a été conduite sur la carcasse mercredi le 28 mars 2018.

Ce cas a suscité de nombreuses questions. Baleine en direct, en collaboration avec Urgences Mammifères Marins et ses partenaires, y répond.


Rappel des évènements :

  • Dimanche 25 mars : la baleine est trouvée échouée vivante sur la plage de l’Étang-du-Nord et signalée en après-midi au 1-877-7baleine. L’animal est amaigri et ses chances de survies sont jugées nulles, même si la baleine est repoussée vers le large. La baleine n’a pas survécu à son échouage.
  • Lundi 26 mars : la carcasse du rorqual à bosse de petite taille est « naturellement » sécurisée et immobile à une dizaine de mètres du rivage. Le ministère Pêches et Océans Canada (MPO) évalue la faisabilité de documenter la carcasse et l’ampleur qu’aura la documentation, en fonction des ressources disponibles.
  • Mardi 27 mars : les autorisations sont reçues et la logistique pour procéder à une nécropsie de la baleine se met en place. Les vétérinaires du Réseau canadien pour la santé de la faune (RCSF) sont en route vers l’archipel, les bénévoles d’Urgences Mammifères Marins se mobilisent et MPO coordonne le transport de la baleine, en collaboration avec Lavages Industriels Vigneau, vers le site où la carcasse sera étudiée.
  • Mercredi 28 mars : la carcasse est déposée en avant-midi sur un terrain de Havre-aux-Maisons, où la baleine sera enfouie après la nécropsie. Une équipe de quatre vétérinaires, une technicienne et huit bénévoles participent à l’examen complet de l’animal, intervention d’une durée d’environ cinq heures.

Q : Pourquoi la baleine s’est-elle échouée?

Les premières images du rorqual à bosse ont révélé une baleine très maigre et visiblement en mauvais état de santé, mais qui ne présentait pas de trace d’empêtrement ni de blessure évidente. Il est raisonnable de croire que son échouage serait une conséquence de son piètre état de santé. Il est possible que cette baleine, affaiblie par sa mauvaise condition, ait été entrainée trop près de la côte.

Q : L’homme sur la vidéo aurait-il pu la sauver?

Cette baleine mesurait près de 9 mètres pour un poids d’environ 7 tonnes. Il est impossible, à bras d’homme, de bouger un animal de cette taille.

Il est primordial aussi de mentionner qu’une intervention comme celle filmée dimanche est extrêmement dangereuse. Bien que l’homme a agi par bonne volonté, les risques liés au fait d’entrer en contact avec une baleine en détresse sont très élevés. Ces géants sont massifs, et peuvent infliger des blessures, en se débattant, qui peuvent être fatales. Coup de queue, tête et nageoires en mouvement, ajoutés aux roulis des vagues, peuvent heurter et déstabiliser l’intervenant qui risque de se retrouver dans l’eau glaciale, collée sur ou sous la baleine qui s’agite : un scénario aux conséquences catastrophiques.

C’est d’ailleurs pourquoi la Sureté du Québec a été appelée sur les lieux par Urgences Mammifères Marins qui craignait le pire.

Les interventions auprès des mammifères marins doivent être effectuées par des experts qui ont l’équipement adapté et l’autorisation de le faire. Pour bouger pareil géant, du matériel spécialisé est nécessaire : ponton flottant (une sorte de civière avec des ballons de chaque côté), sangles spécialisées, machinerie, embarcations sécuritaires (manoeuvrables en zone si peu profonde).

À noter qu’il serait dangereux de tirer une baleine par la queue; cela pourrait la blesser davantage, entrainer la dislocation de sa colonne et ainsi aggraver sa situation, voire la condamner.

Q : Pourquoi la baleine n’a pas été repoussée au large?

Dès les premiers instants où les photos ont été reçues et que les témoins ont décrit la situation au centre d’appels d’Urgences Mammifères Marins, les spécialistes de la Marine Animal Response Society (MARS) ont été contactés pour voir quelles options étaient envisageables. L’équipe du MARS a développé une expertise auprès des cétacés échoués vivants en traitant un bon nombre de cas dans les Maritimes.

L’équipe du MARS a connu un seul autre cas de rorqual à bosse échoué vivant, mais ce premier cas était décédé avant qu’une tentative d’opération de sauvetage puisse être faite. Un rorqual commun juvénile avait toutefois été relocalisé en novembre 2013 en Nouvelle-Écosse, au large du Cap Breton, à l’aide de pontons flottants. L’issue de cette intervention est toutefois inconnue, comme c’est généralement le cas dans les situations de relocalisation de grands cétacés.

Après avoir procédé à l’évaluation de l’état de l’animal et évaluer ses chances de survivre à une intervention, les vétérinaires-conseils du Réseau canadien pour la santé de la faune (RCSF), les scientifiques du MPO et l’équipe de MARS ont été unanimes : cette baleine ne survivra pas même si elle était amenée vers le large. Étant aussi maigre, et donc sous-alimentée et faible, elle n’aurait sans doute pas survécu à la relocalisation et si elle avait survécu, elle aurait sans doute péri dans les jours suivants, au large ou en s’échouant sur une autre plage.

Cette baleine n’était donc pas une candidate pour un sauvetage.

Q : Pourquoi n’a-t-elle pas été euthanasiée?

L’euthanasie a été discutée, mais cette option n’a pas été retenue pour cette baleine puisque sa condition était si critique que les experts ont évalué qu’elle mourrait avant qu’ils n’aient eu le temps de se rendre sur les lieux.

En effet, l’euthanasie de gros cétacés est une entreprise délicate, qui ne peut être exécutée que par des experts puisqu’elle demande de manipuler et d’administrer de très grandes quantités de drogues vétérinaires potentiellement dangereuses pour les intervenants. Les risques sont aussi importants pour toutes les personnes impliquées dans l’échantillonnage et la nécropsie, si celles-ci sont encore possibles. Les experts autorisés à procéder à une telle intervention ne sont toutefois pas basés aux Iles-de-la-Madeleine, ce qui aurait demandé une logistique complexe et le délai a été jugé trop grand.

Une baleine de cette taille ne survit habituellement pas longtemps échouée, compte tenu de son poids qui comprime sa cage thoracique. Si toutefois la baleine avait survécu à sa première nuit suivant l’échouage, le scénario de l’euthanasie aurait fort probablement été mis en marche.

Q : Aurait-elle pu repartir avec la marée haute?

Le marnage entre la marée haute et la marée basse au moment de l’incident aux iles était de 0,1m. Il était très improbable qu’avec la marée haute, la baleine ait pu flotter et retrouver sa liberté de mouvement. Les hauts-fonds autour des iles sont nombreux et la marée dans cette portion du golfe est généralement de faible amplitude, des facteurs augmentant la complexité de la situation.

Q : Est-ce qu’elle aurait ingéré du plastique?

L’analyse du contenu de l’estomac fait partie des étapes d’une nécropsie. Le vétérinaire Stéphane Lair du RCSF, à qui la question a été posée, nous a répondu que le tractus digestif était vide et qu’il n’y avait aucune évidence d’ingestion récente de quelque substance que ce soit.

Q : Quel est le rôle d’Urgences Mammifères Marins (UMM) dans ces situations?

UMM c’est d’abord un centre d’appels (1-877-7baleine) en fonction 24/7, qui traite les appels des citoyens (entre 400 et 500 appels/année) qui trouvent un mammifère marin mort ou en difficulté sur les rives du Saint-Laurent au Québec.

Dans chaque situation, l’équipe du centre d’appels, en collaboration avec les partenaires spécialisés sur les mammifères marins du Québec et de l’Atlantique, analyse la situation afin de décider du meilleur plan d’intervention.

Cette analyse prend en compte de nombreux facteurs :

  • espèce impliquée et son statut (espèce en péril ou non)
  • état de l’animal
  • bien-être de l’animal
  • la situation de l’animal est-elle reliée à une cause humaine ou naturelle
  • la disponibilité des équipes spécialisées en fonction du secteur où le cas survient
  • la sécurité des intervenants et du public
  • les aspects logistique
  • les ressources matérielles disponibles
  • le coût des interventions.

Un fois l’analyse complétée et les experts consultés, un plan d’action est élaboré dans les plus brefs délais.

Dans le cas d’animaux échoués vivants, il y a plusieurs options d’interventions possibles. Une intervention de « sauvetage » n’est pas systématiquement déployée et il peut être décidé de laisser la nature faire. De nombreuses baleines meurent aussi de causes naturelles (âge, maladie, parasites) et nous ne pouvons les aider. Cela fait aussi partie de leur vie.

UMM investit des efforts dans la documentation et l’acquisition de données scientifiques pour tirer de l’information de chacune des situations. Ce processus permet entre autres d’éclairer et de mieux gérer l’analyse de situations futures.

UMM agit aussi comme coordonnateur des différentes actions; l’organisme consulte les experts, rallie les chercheurs autour de la table, coordonne le déploiement d’équipes de bénévoles sur le terrain et tisse des liens avec les témoins et les vecteurs d’informations.

Un travail de sensibilisation et d’éducation est fait à chaque signalement, directement au bout du fil, sur les nombreuses plateformes numériques (baleinesendirect.org, réseaux sociaux) et en répondant aux entrevues des médias.

Q : Est-ce que la baleine est connue des chercheurs?

La Station de recherche des Îles Mingan (MICS) qui est responsable du catalogue des rorquals à bosse identifiés dans le Saint-Laurent a analysé les premières photos reçues alors que le spécimen était encore sur la plage.

À priori, cette baleine n’était pas connue des chercheurs et n’avait pas été identifiée dans le passé.

Q : Pouvons-nous relier cet incident avec les mortalités de baleines noires de 2017?

L’analyse des carcasses de baleines noires de 2017 a permis de conclure que dans 6 carcasses sur 12, les mortalités étaient attribuables à des empêtrements dans des engins de pêche, ou à des collisions avec des navires. Dans le cas du rorqual à bosse des Iles-de-la-Madeleine, il n’y avait aucune évidence de trauma récent ou d’empêtrement. Il s’agit d’un cas non relié avec celui des baleines noires.

Un évènement dans la loupe des chercheurs, impliquant les rorquals à bosse de l’Atlantique, a toutefois été évoqué dans les discussions. Les autorités fédérales américaines enquêtent en effet depuis avril dernier sur le nombre de mortalités «inhabituellement élevé» chez cette espèce sur la côte est des États-Unis, dont les causes restent en partie indéterminées. La NOAA explique qu’ils observent un accroissement annuel important de la mortalité des rorquals à bosse depuis le 1er janvier 2016 et la poursuite de ce phénomène en 2017, portant à 41 le nombre de ces cétacés retrouvés morts à ce jour sur le littoral de la côte est américaine, du Maine à la Caroline du Nord .

De plus, un jeune spécimen femelle dans un état similaire a été trouvé à Godbout sur la Côte-Nord en mai 2017. Est-ce annonciateur d’une nouvelle problématique dans les eaux du Saint-Laurent? Y a-t-il rareté des proies? La question a été soulevée par les scientifiques.

Q : Quand sera-t-il possible d’obtenir les résultats de la nécropsie?

Le rapport préliminaire sera publié d’ici 2 à 3 semaines par la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, et diffusé par le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins.

Il faudra attendre le résultat des analyses en laboratoire pour produire le rapport final, soit d’ici environ quatre mois.

Les premiers constats de Stéphane Lair la journée de la nécropsie sont que la baleine, une jeune femelle de 8,8 m, était dans un très mauvais état corporel, avec un niveau de gras sous-optimal. Cause de la mort présumée : ce juvénile en période post-sevrage est mort d’inanition.

Urgences Mammifères Marins - 29/3/2018

Josiane Cabana

Josiane Cabana a été directrice du Centre d’appels du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins de 2011 à 2018. Entre les cas de mammifères marins morts ou en difficulté auxquels elle répond, elle aime prendre le temps de sensibiliser les riverains aux menaces qui pèsent sur ces animaux. Biologiste de formation, elle s’implique au sein du GREMM depuis plus de 15 ans, toujours avec la même passion!

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