Depuis 2019, je migre quelques mois par année au Mexique, plus précisément à Puerto Vallarta dans l’état de Jalisco. La baie de Banderas est l’une des pouponnières et aires de reproduction des rorquals à bosse dans l’océan Pacifique. J’ai l’extraordinaire privilège d’être bénévole pour le GRIMMA (El Grupo de Investigación de Mamíferos Marinos A.C.). Cet organisme est une association à but non lucratif composée de professionnels spécialisés dans l’étude et la conservation des mammifères marins. Le début de leurs travaux remonte déjà à plus de 20 ans maintenant. 

Par Guylaine Marchand

Membre de cette association, Iyari Espinoza y effectue des travaux de recherche dans le cadre de sa thèse de doctorat. L’objectif de ses travaux est d’évaluer si les excursions aux baleines ont un impact sur le comportement de ces mammifères et sur leur préservation. C’est dans le cadre de ses recherches que j’ai été recrutée comme bénévole.

Mes principales tâches consistent à ladministration de questionnaires auprès de la clientèle participant à des excursions d’observations de baleines. Ces questionnaires visent à connaître leurs attentes avant lexcursion et à obtenir une évaluation de leur expérience au terme de cette dernière. Parallèlement à cette tâche, jobserve le respect des règles lors de lapproche des bateaux sur un site où il y a présence de baleines, je comptabilise le nombre de baleines rencontrées et enfin, je procède à de la photo-identification. J’ai aussi eu l’occasion d’accompagner un groupe de biologistes marins lors de l’exécution de transects. Lors des excursions d’observation de baleines et des transects, je suis témoin de comportements que je ne vois pas au Québec!

Compétition

Les mâles se bagarrent pour conquérir la femelle, un ballet très impressionnant. Se déplaçant à grande vitesse, ils se bousculent, se frappent et tapent très fort leur queue à la surface de l’eau pour démontrer leur puissance, offrant ainsi un spectacle saisissant aux différents observateurs. Cette démonstration de force peut durer de longues heures, voire même des jours. De nombreuses cicatrices causées par les coupures des balanes, petits crustacés fixés à la peau des baleines, témoignent des nombreux combats chez certains mâles.

Naissance

Les femelles donnent naissance dans les eaux plus tempérées, comme celles du Mexique. Les baleineaux naissent avec moins de gras que les adultes et ils ne pourraient probablement pas survivre en eau froide. Le lait très riche de la femelle permet au jeune de doubler son poids en quelques mois à peine. Ce gain de poids très rapide lui permettra d’affronter les eaux froides lors de sa première migration plus au nord.

Escorte et éducation

J’ai pu observer à maintes reprises des femelles avec leurs veaux. Les interactions entre la femelle et son veau sont très attendrissantes et éducatives. Nous observons souvent deux baleines adultes accompagnant le nouveau-né. Dans le jargon de la biologie marine, l’une d’entre elles est appelée l’escorte ; mâle ou femelle, elle se joint au duo mère-veau pour quelque temps afin d’assurer la survie du petit. Nous avons identifié des mâles qui étaient quelques jours auparavant dans un groupe de compétition qui accompagnait finalement des duos mères-veaux. Cette observation suggère que cette stratégie pourrait favoriser le mâle dans la reproduction. Pendant ce temps, le baleineau apprend à sauter hors de l’eau, à frapper l’eau avec sa nageoire pectorale ou sa caudale, à faire de l’espionnage en surface et à plonger. Ces jeux lui permettent de développer sa force et éventuellement, contribuent à sa survie. Au cours de cette période, la femelle demeure toujours près de sa progéniture et ne plonge pas en profondeur afin de ne pas perdre son petit de vue.

Saut hors de l'eau © Guylaine Marchand
Espionnage en surface © Guylaine Marchand
Escorte © Guylaine Marchand

Transects

Au cours de mon expérience, nous avons effectué plusieurs heures de transect afin de recenser et d’identifier les différentes espèces de mammifères marins, d’extraire des enregistrements sonores à l’aide d’un hydrophone et d’extirper des déchets de toutes sortes flottant sur la mer. Parmi les divers mammifères marins que nous avons échantillonnés, nous relevons quatre espèces de dauphins : le dauphin à bec étroit (Steno bredabensis), le dauphin tacheté (Stenella attenuata), le grand dauphin (Tursiops truncatus), et  le cachalot nain (Kogia sima), ainsi que des épaulards et des rorquals à bosse.

Migration

Dès novembre, nous avons constaté la présence de plusieurs baleines à bosse qui commençait leur séjour dans la baie. La plupart de ces dernières arrivent d’une longue migration de la Californie et de l’Alaska ainsi que de la Colombie-Britannique. Elles viennent ici pour se reproduire et pour donner naissance après une gestation d’environ onze mois. Pour certaines, leur long périple n’est pas de tout repos. En effet, le 5 décembre vers 15h00, nous avons découvert une baleine empêtrée dans des cordages. La bouée à l’extrémité du cordage venait des États-Unis selon une membre de l’équipage du bateau de recherche. D’après cette dernière, cela devait faire au moins 3 mois qu’elle était empêtrée, puisque des parasites couvraient l’entièreté de son corps. Elle avait peine à avancer.

Le GRIMMA est membre du RABEN Whale Disentanglement Network, nous nous sommes donc efforcés de documenter la situation autant que possible en attendant l’équipe de coordination et l’équipe de sauvetage. Vers 18h00, nous avons reçu un message de l’équipe de coordination indiquant que la baleine était maintenant libre de ce cordage qui mesurait 140 mètres de long. Une nageoire pectorale, sa caudale et son corps étaient enroulés par le cordage. Nous étions tous soulagés de savoir que cet individu pourra se déplacer librement à nouveau. C’est désolant de constater que les dangers qui guettent ces mammifères marins durant leurs migrations sont souvent de causes humaines.

À notre grande surprise, le 12 décembre dernier, nous avons pu observer un troupeau d’épaulards d’environ 25 individus. Je ne vous cacherai pas que j’avais une grande crainte pour les restes des mammifères présents puisque certaines populations d’épaulards se nourrissent de poissons tandis que d’autres se chassent des mammifères marins. À ce moment, les épaulards étaient en déplacement et j’ai pu observer deux veaux parmi ce troupeau.

Fin de la migration au Mexique

Des transects seront effectués jusqu’à la fin du mois d’avril. À ce moment, la plupart des baleines à bosse auront quitté la baie. Il sera grand temps pour elles d’aller se remplir la panse après ce long séjour dans la baie sans s’être nourries. Je souhaite que les eaux qu’elles fréquenteront cet été soient abondantes en nourriture et que leur route longue de milliers de kilomètres ne comporte pas trop d’embuches. Pour ma part, je retournerai naviguer dans les eaux du Saint-Laurent et j’aurai une pensée spéciale pour le fondateur du GRIMMA, Roberto Moncada Cooley, qui me fait confiance depuis toutes ces années. Je souhaite le meilleur des succès à Iyari Espinoza dans son entreprise de faire évoluer les choses pour le bien et la survie de tous ces mammifères marins si attachants. Les résultats de ses recherches permettront peut-être de démontrer que la réglementation doit être bonifiée pour la préservation des mammifères marins dans la baie de Banderas.

Carnet de terrain - 30/3/2023

Collaboration Spéciale

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