Afin de protéger les baleines noires de l’Atlantique Nord, le gouvernement canadien a réduit temporairement la limite de vitesse des grands navires dans certains secteurs de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent depuis le 11 aout dernier. Réduire la vitesse des navires dans les secteurs fortement fréquentés par les baleines est-elle une mesure efficace et éprouvée pour protéger ces dernières? Les études scientifiques et les résultats de mesures semblables mises en place sur la côte est américaine semblent indiquer que oui, mais la mise en place de cette mesure dans le Saint-Laurent a aussi des inconvénients.

Pourquoi réduire la limite de vitesse?

En mettant en place une telle mesure, le gouvernement espère réduire les risques de collisions entre navires et baleines noires. Au moins dix baleines noires ont été retrouvées mortes dans le Saint-Laurent depuis le début juin. Ceci correspond à plus du double du nombre de nouveau-nés pour 2017 et à près du double du nombre de décès annuels moyen pour cette population (pour la période de 2010 à 2014). Devant l’urgence d’agir, le gouvernement canadien a mis en place une série de mesures, dont la réduction de la limite de vitesse.

Les collisions avec les navires étaient le principal facteur limitant le rétablissement de la baleine noire de l’Atlantique Nord entre 1970 et 2008. En 2008, des mesures de protection ont été mises en place le long de la côte est étatsunienne, dont des zones de réduction de vitesse et la modification des routes maritimes. Deux études réalisées après 2008 ont démontré l’efficacité de ces mesures pour réduire le nombre de collisions.

Selon une étude publiée en 2013 par des chercheurs de la NOAA, le ralentissement des navires protège les baleines des collisions de deux façons : en réduisant le risque de blessures graves ou mortelles si une collision survient et en augmentant les chances qu’une baleine ait le temps de réagir pour éviter la collision. Les chercheurs estiment donc que, dans les zones et durant les périodes de réduction de vitesse sur la côte est étatsunienne, le risque qu’une baleine meure à cause d’une collision avec un navire est diminué de 80 à 90 %.

Une autre étude, publiée en 2014, démontre que durant les 18 années précédant la mise en place des mesures de protection sur la côte est américaine, 13 des 15 carcasses de baleines noires victimes de collisions ont été trouvées dans les limites ou à moins de 83 km des futures zones de réduction de vitesse, tandis qu’au cours des cinq années suivant la mise en place de ces mesures, aucune baleine noire victime de collision n’a été trouvée à l’intérieur ou à moins de 83 km des zones de réduction de vitesse. La mise en place de zones saisonnières de réduction de vitesse a donc été une mesure efficace pour réduire cette cause de mortalité à l’intérieur et à proximité de ces zones.

Cependant, avec l’augmentation du nombre de baleines noires qui visitent le golfe du Saint-Laurent durant la saison estivale, les collisions seraient-elles redevenues une cause importante de mortalité pour cette population? Les résultats préliminaires des nécropsies effectuées sur les baleines retrouvées mortes dans le Saint-Laurent semblent indiquer que oui: au moins trois d’entre elles semblent avoir été victimes d’une collision.

Effets additionnels du ralentissement des navires sur les baleines

Le ralentissement des navires dans les régions fortement fréquentées par les baleines pourrait avoir un autre avantage important pour les baleines : la diminution du dérangement par le bruit.

Comment la diminution de la vitesse des navires influence-t-elle le bruit dans l’habitat des baleines? « Bien qu’il existe de la variabilité d’un navire à l’autre, une moins grande vitesse signifie généralement un son instantané plus faible, explique Clément Chion, chercheur à l’Université du Québec en Outaouais, mais une moins grande vitesse signifie également que le navire produit du bruit durant une plus longue période, puisqu’il prend plus de temps pour se rendre à destination ». Donc, comment savoir si le bruit émis par un navire qui se déplace plus lentement est moins dérangeant pour les baleines? Des chercheurs sur les côtes est et ouest du Canada tentent de répondre à cette question.

Ce mois-ci, une étude a débuté de l’autre côté du pays pour analyser les effets du ralentissement des navires sur le bruit sous-marin et sur les épaulards résidents du sud, une population en voie de disparition dont il ne reste plus que 78 individus. Du 7 aout au 6 octobre 2017, 53 compagnies de transport maritime participent volontairement à cette étude en réduisant leur vitesse à 11 nœuds le long de la côte ouest canadienne, dans le détroit de Haro. Des hydrophones sous-marins permettent de mesurer le bruit ambiant et le bruit des navires et de détecter la présence de baleines.

Conséquences pour l’industrie maritime

Bien que réduire la limite de vitesse des navires puisse avoir plusieurs effets positifs sur les baleines, ceci entraine habituellement une augmentation du temps et des couts du transport maritime. Par exemple, la réduction temporaire de la limite de vitesse dans le golfe du Saint-Laurent augmente de sept heures le trajet entre St-John’s et Montréal pour les navires de la compagnie Océanex, même si la compagnie compense une partie du temps perdu en augmentant la vitesse de ses navires en dehors des zones règlementées. Cette mesure coute à la compagnie environ 100 000 $ par semaine pour ses deux navires qui effectuent le trajet entre St-John’s et Montréal — des frais que la compagnie passera, en partie, à ses clients.

Actualité - 30/8/2017

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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