Par le Mériscope
23 octobre 2016, dernière sortie. La 6esaison de photo-identification des petits rorquals du Saint-Laurent se termine. Après avoir passé 165 heures en mer, fait plus de 200 observations de petits rorquals et scruté près de 1000 photos, le temps est venu de compléter le catalogue.
Mais qui sont ces petits rorquals? Chez les animaux comme chez les humains, chaque individu est unique. Le petit rorqual ne fait pas exception. En 2011, le Mériscope ouvre un inventaire des petits rorquals du Saint-Laurent à partir de clichés accumulés depuis 2001. Au départ, 88 animaux étaient catalogués. Depuis, chaque année de nouveaux petits rorquals sont photographiés et répertoriés. L’année 2016 a rendu possible l’ajout de 55 photos couvrant 16 individus, dont 6 nouveaux, portant ainsi le nombre à 233.
Pourquoi tout ce travail?
L’identification des petits rorquals est l’unique moyen de savoir si l’observation d’une journée porte sur un seul animal qu’on aurait vu plusieurs fois, ou s’il s’agit de différents animaux. De plus, le catalogue permet d’identifier les animaux déjà biopsiés et ainsi d’éviter les doubles prélèvements.
En analysant les fiches des animaux répertoriés, il sera possible d’évaluer la proportion d’animaux présentant des marques causées par l’empêtrement dans des engins de pêche, la catégorie et la gravité des blessures, ainsi que leurs emplacements sur le corps.
À moyen et à long terme, il sera possible d’estimer la population et le territoire fréquenté par les individus répertoriés.
Comment se fait le travail de photo-identification?
En mer
Pour identifier un petit rorqual, il faut d’abord le capturer en photo. La photo idéale est nette, prise perpendiculairement à l’animal, dos au soleil. Sa partie émergée est visible au complet.
La tenue rigoureuse d’un logbook permet de savoir précisément l’endroit et les conditions météorologiques dans lesquelles l’animal a été observé. On y note, entre autres, la date et l’heure, la visibilité, l’état de la mer, la force et la direction des vents, les coordonnées GPS, la direction et la distance de l’animal ainsi que son comportement.
En laboratoire
On estime qu’un minimum de 70 heures en laboratoire a été consacré à l’identification de petits rorquals en 2016.
Tout d’abord, le logbook est transcrit dans un fichier Excel afin de faciliter l’utilisation des données. Puis, le travail avec les photos commence. La première étape vise à sélectionner les meilleurs clichés de chacun des individus photographiés. On leur attribue alors une identité temporaire basée sur l’ordre d’observation (Ba1 étant Balenoptera acutorostrataphotographié en premier, Ba2 celui photographié en deuxième, etc.).
Dans un deuxième temps, chaque cliché choisi fait l’objet d’un examen méticuleux et méthodique afin de déterminer si l’aileron dorsal porte une cicatrice, une entaille ou une encoche, si petite soit-elle. Les marques sur le flanc et le pédoncule sont aussi considérées.
Il faut ensuite éliminer les animaux jeunes et sans marque particulière. En effet, chez les individus immatures, l’aileron dorsal n’a pas fini de se développer. Sa forme changera encore pendant quelques années, rendant ainsi l’identification impossible, à moins qu’il ait une marque distinctive. Dans ce cas, on gardera la photo pour la soumettre à l’identification. Par contre, un adulte sans marque pourra être reconnu uniquement par la forme de sa dorsale.
Les clichés sélectionnés sont soumis à DARWIN (Digital Analysis and Recognition of Whale Images on a Network). DARWIN est un logiciel développé au Collège Eckerd de St Petersburg en Floride. Il utilise un processus automatisé pour tracer le contour de la nageoire dorsale. Ce contour est enregistré dans la base de données pour être utilisé au moment de la recherche de dorsales semblables. Le système fait alors appel à une variété d’algorithmes pour compenser le fait que les photographies sont prises à des distances et à des angles différents et effectue ensuite le processus d’appariement. Le logiciel propose alors une liste d’individus déjà répertoriés dans la base de données comme étant des appariements potentiels, classés par probabilité.
Il revient alors au chercheur de porter le jugement final. Rien de tel que l’œil humain! En tenant compte des indices plus subtils que les entailles et les encoches déjà détectées par DARWIN, il observe les proportions de la nageoire dorsale, la courbe du bord de fuite, la présence de marques sur le flanc ou le pédoncule, la coloration et les imperfections de la peau pour ensuite confirmer ou infirmer l’appariement.
Si l’animal n’est pas dans la base de données, sa photo et le tracé de sa dorsale y sont ajoutés et on lui attribue un nom, composé de l’indicatif « Ba » suivi d’un numéro. Par exemple, Ba207 est le 207eBalenoptera acutorostrataà être ajouté à la base de données. Sa fiche est complétée avec les informations tirées du logbook — date d’observation, données GPS — et de l’analyse des photos soit l’emplacement des marques sur le corps et la description de celles-ci, si nécessaire.
Lorsqu’il s’agit d’un individu existant dans la base de données, la photo et le tracé de la dorsale y sont également ajoutés sous le nom de l’individu apparié, donnant ainsi un portrait des dates et des secteurs où l’animal a été photographié.
Parmi les fiches répertoriées, DARWIN permet de faire une recherche ou un trie par individu, par date, par secteur d’observation ou par type de dommages et emplacement des marques.
Plaisirs et contraintes
Il est toujours agréable de retrouver un animal fidèle au secteur. Parfois, on a la surprise d’en revoir un qui n’a pas été photographié depuis plusieurs années. Certains n’ont pas changé, d’autres portent de nouvelles marques.
Mais la saison est courte et les caprices de la météo nous limitent. 165 heures dans une année, c’est bien peu! Et un petit bateau dans l’immensité de l’estuaire parcourt un infime pourcentage du territoire fréquenté par les petits rorquals. Combien nous échappent?