Alors que trois projets de forages pétroliers au large de Terre-Neuve bénéficient d’un coup d’accélérateur de la part du gouvernement canadien, un fidèle lecteur nous interpelle sur les impacts potentiels de cette activité sur les mammifères marins. Doit-on s’inquiéter de ces forages pour les baleines? Quels sont réellement les risques ?
Une zone fréquentée par des espèces en péril
Il se trouve que les trois projets d’exploration en cours d’évaluation menés par BHP Canada (20 forages), Equinor (12 forages) et Chevron (8 forages), se situent à quelques centaines de kilomètres à l’est de Terre-Neuve, dans une région où l’on retrouve de nombreuses espèces de poissons, d’oiseaux marins et de mammifères marins. Parmi eux, le rorqual bleu et la baleine noire de l’Atlantique Nord, deux espèces classées « en voie de disparition » au Canada. Ces espèces fréquentent le secteur essentiellement en saison estivale, pour s’alimenter, ce qui coïnciderait avec les périodes de forages exploratoires.
Il est clair que les activités de l’industrie pétrolière en mer comportent des risques pour les mammifères marins. De manière générale, la mise en place d’une plateforme de forage provoque des effets à long terme sur la zone marine alentour, tels que la fragmentation de l’habitat, la pollution chimique, la dégradation de la qualité de l’eau ou encore l’augmentation du trafic maritime et des risques de collisions. Mais à court terme, les scientifiques sont surtout inquiets de l’impact du bruit sous-marin et des risques de déversements pétroliers.
En amont, la problématique du bruit
«Lors de l’exploration, on met en fonction des canons acoustiques pour explorer la nature des fonds marins. Les bruits produits par cette activité sont considérables. Ça interfère avec l’activité de communication, de recherche de nourriture, de plusieurs espèces animales, entre autres des mammifères marins […]», expliquait Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, lors d’une interview à Radio-Canada en avril 2018 sur les risques liés à l’exploration pétrolière sur les baleines.
Les canons à air comprimé utilisés lors des phases de prospection – parfois à raison d’une détonation toutes les 12 secondes sur des campagnes de plusieurs mois – utilisent des sons de très basses fréquences, qui peuvent notamment interférer avec les sons émis par les rorquals bleus. Si le bruit des détonations peut désorienter les baleines ou interrompre leurs activités d’alimentation, il peut aussi les forcer à quitter le secteur, modifiant ainsi leur route ou leur calendrier migratoire. Or, en se privant d’une zone riche en nourriture, les baleines mettent en jeu l’accumulation de réserves nécessaires à leur succès reproducteur ou à leur survie.
On pense également que ces détonations peuvent endommager de manière temporaire ou définitive l’audition de cétacés odontocètes comme les baleines à bec.
Des incidents aux conséquences désastreuses
L’autre menace qui inquiète particulièrement les spécialistes des mammifères marins, c’est le risque d’un déversement accidentel de pétrole. Malgré toutes les précautions prises, les rejets accidentels ne sont pas rares. Des incidents importants ont déjà eu lieu au large de Terre-Neuve en 2018 et en 2019.
Or, selon les informations rapportées par Le Devoir, l’équipement nécessaire pour stopper une éventuelle fuite sur une plateforme de forage en mer « n’est pas disponible au Canada. Il serait donc transporté depuis la Norvège, par navire. » Leur acheminement pourrait nécessiter un délai d’environ 30 jours.
Mais quel est l’impact d’un déversement de pétrole sur les mammifères marins ? Il n’y a pas à l’heure actuelle de données suffisantes pour évaluer de manière certaine les conséquences. Et celles-ci dépendent de nombreux facteurs, comme l’ampleur du déversement, son lieu, la toxicité du pétrole et des composants chimiques déversés, etc. Mais on peut tirer les leçons de déversements passés.
Le déversement de la plateforme DeepWater Horizon dans le golfe du Mexique en 2010 a provoqué la mort d’un quart de la population de rorqual de Bryde de ce secteur. Et dans les cinq années qui ont suivi, près de 75% des dauphins femelles gestantes n’ont pas réussi à donner naissance à des nouveau-nés viables. En Alaska, les populations d’épaulards ayant subi, en 1989, le déversement de l’Exxon Valdez ont affiché des taux de mortalité très élevés pendant les 18 mois qui ont suivi. Seize ans après, ces populations ne sont toujours pas entièrement remises de l’incident. Ainsi l’exposition à un déversement de pétrole peut entrainer une importante mortalité à court terme, mais aussi des effets à long terme sur les populations de baleines.