Même si un épaulard peut facilement avaler un saumon entier, il préfère le déchirer en morceaux pour le partager avec les membres de sa famille, révèle une étude publiée dans la revue scientifique Animal Behaviour. Le partage de la nourriture, qui augmenterait les chances de survie des membres d’une famille, serait une des principales raisons pour lesquels les épaulards résidents du nord du Pacifique canadien resteraient toute leur vie au sein du même groupe familial dans la même zone géographique.
Les chercheurs ont analysé les données récoltées pendant 12 ans sur le partage des proies attrapées par les épaulards résidents du Nord. Deux populations distinctes d’épaulards (Orcinus orca), appelées les résidents du Nord et les résidents du Sud, vivent au large de la côte ouest de la Colombie-Britannique. Ces deux populations sont en péril. Selon le recensement de 2014 réalisé par photo-identification, la population de résidents du Nord compterait environ 290 individus.
Chez la grande majorité des animaux sociaux, un des deux sexes affiche généralement un haut degré de philopatrie (la tendance de certains individus à rester ou à revenir à l’endroit où ils sont nés) alors que l’autre sexe a davantage tendance à se disperser. Cette stratégie limite la consanguinité et la compétition entre les membres d’une même famille. Par contre, chez les épaulards résidents du Nord, les deux sexes affichent un haut degré de philopatrie toute leur vie. Ils vivent en groupes familiaux matrilinéaires stables, comprenant habituellement la mère, ses fils et ses filles, et les petits de ses filles. Les mâles s’accouplent avec des femelles d’autres groupes mais ils retournent, après l’accouplement, auprès de leur mère.
Une étude précédente a démontré que les descendants mâles ont, à partir de l’âge de 30 ans, 14 fois plus de risques de mourir dans l’année suivant la mort de leur mère. Pour les femelles du même âge, le risque de mourir suite à la mort de leur mère n’augmente que d’un facteur de trois. La présence de la mère auprès de ses descendants, en particulier auprès des mâles, même s’ils sont adultes et matures sexuellement, accroit donc leurs chances de survie. Mais comment les mères accroissent-elles les chances de survie de ses descendants adultes? Quels avantages procurent la philopatrie pour les mâles et les femelles de cette population? Des chercheurs ont tenté de répondre à ces questions.
Utilisant une embarcation avec un système de propulsion de surface pour minimiser le dérangement et une caméra vidéo sous-marine, les chercheurs ont observé 685 captures de saumon, au cours de 217 rencontres avec des épaulards résidents du Nord entre les années 2002 et 2014.
Environ les trois quarts des saumons capturés ont été partagés. La grande majorité des partages ont lieu entre les membres d’une même famille matrilinéaire, même si les épaulards ont l’opportunité de partager avec d’autres individus présents. Les femelles adultes partagent presque toujours leurs proies, principalement avec leurs propres enfants, mais aussi avec leurs frères, sœurs, neveux et nièces. Par contre, une fois que leurs filles ont leurs propres enfants, leur mère ne partage que rarement avec elles. Les jeunes partagent un peu plus des deux tiers de leurs proies, surtout avec leurs frères et sœurs, mais aussi avec leur mère. Les mâles adultes partagent environ un quart des proies qu’ils attrapent et ils les partagent principalement avec leur mère et leurs frères et sœurs.
Selon les auteurs de cette étude, le partage de la nourriture procurerait aux épaulards non seulement des avantages directs en maximisant leur propre chance de survie, mais procurerait aussi des avantages indirects en favorisant la survie des membres de leur famille et en augmentant ainsi la diffusion de leur patrimoine génétique. Ces avantages seraient suffisants pour encourager les membres d’une famille, mâles et femelles, à rester unis. Le partage de nourriture minimiserait aussi la compétition entre les membres d’une famille pour une ressource alimentaire relativement rare, le saumon chinook, diminuant ainsi les bénéfices associés à la dispersion.
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