Une lectrice nous a envoyé cette vidéo provenant de Blue Planet Live, dans laquelle des chercheurs recueillent les peaux mortes que les rorquals bleus ont laissées dans leur sillage en plongeant. Si les morceaux sont suffisamment épais, ils utiliseront ces échantillons afin de déterminer le sexe de l’individu auquel il appartient, ou même de localiser l’endroit où il s’est nourri. Ces recherches ayant lieu dans le golfe du Mexique, notre lectrice s’est demandé si les chercheurs qui travaillent dans la région du Saint-Laurent pouvaient également recueillir des peaux mortes de rorqual.
Les fragments de peau recueillis dans cet extrait sont le résultat d’un processus naturel nommé «desquamation». Les cétacés doivent éliminer les cellules mortes de leur peau afin de favoriser la croissance de nouvelles cellules. Ils se débarrassent de cette façon des organismes et des parasites qui se fixent sur leur peau, ou des peaux abimées par le soleil. Cette perte est comparable à la perte de cheveux chez l’humain : elle est progressive, en continu et indolore. Le renouvèlement de la peau par pans entiers a pu être observé chez les cachalots, les baleines franches et les bélugas, mais il s’agit d’un phénomène plus rare.
Lors de ses recherches au Mexique, Richard Sears, directeur de la Station de recherche des iles Mingan, affirme avoir pu distinguer de grands lambeaux de peaux dans les eaux claires et tempérées du golfe du Mexique. Ses expéditions dans l’estuaire du Saint-Laurent n’ont toutefois pas été aussi concluantes et il ne se souvient pas avoir déjà vu de tels fragments y flotter. Au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), d’autres chercheurs ont découvert des lambeaux de peau blanche appartenant à des bélugas dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, mais, à l’instar de Sears, ils n’en ont pas vu qui auraient pu appartenir à des rorquals.
Puisque Sears s’intéresse peu à ce phénomène, il ne peut affirmer avec certitude les causes de cette divergence selon les endroits, mais il admet que l’exposition au soleil régulière des individus qui fréquentent les eaux du Mexique ainsi que la chaleur de l’eau sont des facteurs qui pourraient possiblement favoriser la desquamation. Comme les humains, les baleines peuvent attraper des coups de soleil! L’inflammation provoquée par les rayons UV entraine la chute de la peau abimée, puis son renouvèlement.
Sears note aussi une véritable corrélation entre la desquamation et la grossesse des femelles. Chez tous les mammifères, la peau s’épaissit en période de gestation, tout particulièrement lors de l’allaitement, ce qui provoque une chute de peaux mortes plus fréquente. On peut ainsi déterminer si la femelle est en train d’allaiter selon l’épaisseur de sa peau! Puisque chez les rorquals bleus, très peu de femelles avec leurs petits ont été observés dans le Saint-Laurent, il serait étonnant d’y retrouver des pertes attribuables à l’allaitement.
Par ailleurs, s’il n’a pas recueilli de fragments de peau dans le Saint-Laurent, Richard Sears a pu distinguer les traces de la desquamation directement sur certains individus, par l’entremise de taches pigmentées. Ces taches peuvent être naturelles ou causées par le frottement avec les bateaux ou sur les rochers. Il suppose aussi que le stress occasionné par les activités humaines pourrait accélérer le processus de desquamation.