Le soleil se couche sur la plage des Bergeronnes et le ciel se pare de teintes rosées. Les pieds dans le sable humide, je regarde la marée descendante dénuder progressivement la batture quand soudain, juste derrière une ligne de roches, un immense ballon blanc et rose semble émerger des eaux du fleuve puis pivote, pour dévoiler un dos gris foncé et une dorsale en faucille. «C’est l’heure du petit rorqual», commente l’amie assise à mes côtés. Depuis trois jours, immanquablement, lorsque la marée descend, elle aperçoit des petits rorquals s’alimenter en lisière de la batture. Sans doute profitent-ils de l’affolement des poissons à la recherche d’eau plus profonde.
Les manœuvres d’alimentation des petits rorquals m’ont toujours impressionnée. Engouffrant des centaines de litres d’eau dans leur bouche, ils peuvent distendre leurs plis ventraux à l’extrême, donnant l’impression d’avoir avalé une montgolfière. Et l’afflux de sang à leur gorge apporte une touche colorée surprenante. Dans l’excitation, ils sortent parfois de l’eau ventre en l’air, ou effectuent des «sauts de grenouille», dans une sorte de demi-breach. Il n’est pas rare que des observateurs nous contactent après avoir aperçu un petit rorqual en alimentation, s’inquiétant de l’état de santé de la baleine.
Pour beaucoup, ce plus petit représentant de la famille des rorquals est moins digne d’intérêt que ses cousins communs, bleus ou à bosse. Malgré son nom, il reste un animal sauvage imposant, pouvant peser jusqu’à 10 tonnes. Lors d’une sortie en planche à pagaie près de Rivière-au-Tonnerre, deux amateurs de plein air n’en reviennent pas de leur rencontre avec deux petits rorquals. «Ils se sont nourris en rond autour de nous! Ils sont venus tellement proches que j’ai eu un peu peur!», s’exclame l’une d’entre eux.
En sortie, dimanche, dans l’archipel de Mingan, le navigateur Jacques Gélineau croise un seul rorqual à bosse ainsi qu’une dizaine de petits rorquals. Mais lui non plus n’est pas déçu: «Pour moi, un petit rorqual c’est aussi intéressant à observer qu’un grand rorqual. Pour les touristes que j’emmène en excursion, c’est parfois le premier cétacé qu’ils voient de leur vie, alors ils sont aussi impressionnés et enthousiastes que si c’était une baleine bleue.»
On peut en tout cas compter sur eux pour mener le spectacle. Les petits rorquals sont partout, le long de la Côte-Nord, s’approchant des quais et des rivages. On nous en signale par exemple à Baie-Comeau, Pointe-au-Maquereau, Sept-Îles ou encore Pointe-des-Monts. Mercredi 14 juillet, un petit rorqual vient même cabrioler à l’embouchure du fjord du Saguenay, pour rendre l’attente moins longue aux touristes venus visiter le Centre d’interprétation des mammifères marins (CIMM), à Tadoussac.
La vie en bleu ou en gris
Pas de petits rorquals gourmands pour nos observateurs de la rive sud, mais des baleines blanches à profusion. «Les bélugas sont de retour, il y en a partout!», s’enthousiasme une observatrice. Après une semaine avec assez peu d’observations, ils sont de nouveaux présents en nombre près des quais de Rivière-du-Loup et de Cacouna. Samedi et dimanche, un étrange individu se joint au groupe, composé de mères et de juvéniles. Cet individu, d’un gris encore soutenu, est complètement «bossu». Lorsqu’il vient respirer à la surface, les observateurs croient voir deux dos distincts, mais il s’agit plutôt d’un individu à la colonne vertébrale déformée par une lordose ou une scoliose. Plusieurs bélugas «déformés» fréquentent les eaux du Saint-Laurent et du Saguenay. Cette caractéristique les rend souvent plus facilement identifiables.
Le 8 juillet, René Roy, collaborateur de la Station de recherche des iles Mingan (MICS), repère ses premiers rorquals bleus de la saison au nord de la péninsule gaspésienne, au large du cap des Rosiers. Les trois individus sont furtifs et se laissent peu approcher. «Elles étaient en déplacement rapide, en recherche, et s’éloignaient dès que je m’approchais», précise René, qui arrive cependant à identifier le mâle Lucanus, un individu qu’il définit comme un régulier de la région.
Vision magique au large de Terre-Neuve: au hasard d’une promenade en bateau, un couple de plaisanciers se fait surprendre par un groupe d’une quinzaine d’épaulards.
Orcas, orcas, orcas! They’re everywhere this year. A school principal and her better half went fishing yesterday and came across an amazing pod. @CStokescbc and I look at the increase in sightings and talk to an expert about just what is going on. Checkout Here & Now 6-7 pm. pic.twitter.com/iBw4T06kg2
— AnthonyGermain (@AnthonyGermain) July 12, 2021
On a retrouvé Tic Tac Toe et H915!
Première rorqual à bosse observée dans le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent, la célèbre Tic Tac Toe avait fait sensation à la mi-juin en arrivant accompagnée d’un nouveau baleineau. Depuis, de nombreuses autres baleines à bosse viennent se nourrir au large de Tadoussac et Bergeronnes, mais la vedette semble s’être évaporée. Où est-elle donc passée? Surprise! Mardi, elle est observée au large de la baie des Anglais, au nord de Baie-Comeau par René Roy. Elle est accompagnée de son veau et d’une «escorte». C’est ainsi qu’on appelle un individu adulte qui semble «s’attacher» à une femelle accompagnée de son veau. Ce phénomène est fréquent et mal expliqué, et étonnamment, l’escorte est souvent une autre femelle.
René Roy reconnait cette baleine escorte: elle se nomme H915. Fait étonnant,ce rorqual à bosse avait été photographié le 17 juin au large de Tadoussac, puis observé le 8 juillet au large de Cloridorme avant de réapparaitre le 13 juillet au large de Baie-Comeau. Un périple qui peut sembler long à un être humain, mais qui ne l’est pas tant pour une baleine, pour qui le Saint-Laurent est un minuscule cul-de-sac de l’océan.
En parlant de baleines voyageuses, la femelle rorqual à bosse Gaspar, également appelée BBR dans le golfe, vient d’arriver dans le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. Elle avait été aperçue avec son veau en Gaspésie il y a une quinzaine de jours. Elle rejoint ainsi dans l’estuaire une gang de 5 ou 6 rorquals à bosse et d’une dizaine de rorquals communs, qui font la joie des excursionnistes. Au large de la baie de Gaspé aussi, les observations vont bon train: pas une journée ne passe sans que les excursions ne croisent plusieurs rorquals communs et rorquals à bosse. Évidemment les petites baleines, petits rorquals et marsouins, sont également de la partie.
Toutes les photos de René Roy ont été prises sous le permis de recherche numéro QUE-LEP-004-2021
Où sont les baleines cette semaine? Voilà ce que nos collaborateurs et collaboratrices ont vu!
Ces observations donnent une idée de la présence des baleines et ne représentent pas du tout la répartition réelle des baleines dans le Saint-Laurent. À utiliser pour le plaisir!
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