De nouveaux investissements dans les zones portuaires et dans le milieu marin du Saint-Laurent, annoncés récemment par les gouvernements canadiens et québécois, soulèvent à la fois inquiétudes et espoir concernant la protection des mammifères marins. Le budget 2016 du gouvernement fédéral propose des investissements importants pour le développement du port de Cacouna mais propose aussi de soutenir la création de nouvelles zones de protection marine (ZPM). Même chose au provincial: le gouvernement québécois a annoncé récemment, dans le cadre de sa Stratégie maritime, des investissements énormes pour le développement de zones industrialo-portuaires, notamment à Cacouna, mais s’engage aussi à créer de nouvelles aires marines protégées, entre autres pour la protection du béluga. Les investissements fédéraux et provinciaux pour le développement du port de Cacouna sont-ils compatibles avec les objectifs de conservation du béluga?

Le budget de 2016 du gouvernement canadien, déposé le 22 mars 2016, propose un investissement de 6,7 millions de dollars, dans le cadre de l’initiative fédérale liée aux infrastructures, afin de mettre à niveau le port de Cacouna. Ce même budget propose de verser 81,3 millions de dollars sur cinq ans, à compter de 2016-2017, à Pêches et Océans Canada et à Ressources naturelles Canada afin de soutenir les activités de conservation marine, y compris la désignation de nouvelles ZPM. Le Canada a identifié des sites d’intérêt en vue de nouvelles désignations de ZPM. Un de ceux-ci est le projet de ZPM Estuaire du Saint-Laurent. Prévue pour 2006, cette ZPM tarde à se mettre en place. Le but de cette ZPM serait d’assurer la conservation et la protection à long terme des mammifères marins qui vivent à l’année ou migrent dans l’estuaire du Saint-Laurent, de leurs habitats et de leurs ressources alimentaires.

Quelques semaines avant l’annonce du budget de 2016 du fédéral, le gouvernement du Québec a annoncé, dans un communiqué de presse, un investissement de 300 millions de dollars pour le développement de 16 zones industrialo-portuaires. Ceci s’inscrit dans le cadre de la Stratégie maritime du Québec. Le port de mer de Cacouna fait partie des 16 zones ciblées. Le Plan d’action 2015-2020 de la Stratégie maritime entend aussi « atteindre les engagements internationaux de la Convention sur la diversité biologique en créant, en collaboration et en concertation avec le gouvernement fédéral, un réseau représentatif d’aires marines protégées couvrant au moins 10% de la superficie marine, entre autres en ajoutant, au Québec, des aires marines protégées répondant notamment aux enjeux de biodiversité et d’espèces à statut précaire du Saint- Laurent, dont le béluga ». Cet objectif de conservation est-il compatible avec le développement d’une zone industrialo-portuaire à Cacouna?

© GREMM
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En juin 2015, l’annonce du projet de développement du port de Cacouna, lors de la présentation de la première Stratégie maritime du Québec, avait fait beaucoup de vagues. De nombreux organismes environnementaux, dont Nature Québec et la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP), avaient exprimé leurs inquiétudes dans des communiqués de presse. Les écologistes et les spécialistes du béluga avaient appelé le gouvernement à agrandir la zone de protection de l’estuaire pour protéger une fois pour toutes l’habitat critique du béluga du Saint-Laurent. Selon la SNAP, la Stratégie maritime du Québec, telle que présentée dans le Plan d’action 2015-2020, est un « rendez-vous manqué pour la conservation ». Au Québec, c’est à peine 1% du milieu marin qui est protégé. En 2011, le Québec avait promis de protéger 10% de son territoire d’ici 2015. Cet objectif a été reporté à 2020. Selon Christian Simard, directeur général de Nature Québec, le projet de développement du port de Cacouna démontre que le Québec n’a pas appris des leçons de l’abandon du projet de terminal pétrolier à Cacouna. « En fait, dans la protection de la biodiversité marine, la conservation de l’habitat essentiel du béluga devrait être la priorité absolue. On ne devrait pas faire d’annonce de grands projets de développement industrialo-portuaire sans d’abord en considérer les enjeux environnementaux. C’est la leçon qui ressort du projet avorté du terminal de TransCanada. On pensait que le gouvernement du Québec l’avait apprise », déclare-t-il dans un communiqué de presse en juillet 2015.

En comparaison, les annonces des derniers mois concernant les investissements fédéraux et provinciaux pour le développement du port de Cacouna ont suscité peu de réactions de la part des écologistes, du moins dans les médias, à part dans un article du Huffington Post. Mais les inquiétudes demeurent entières.

© GREMM
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Les acteurs du développement, de la recherche et de la conservation peuvent travailler en concertation pour assurer la pérennité et la compatibilité de différents usages du Saint-Laurent, comme démontré par le Groupe de travail sur le transport maritime et la protection des mammifères marins dans l’estuaire du Saint-Laurent (G2T3M). Formé en 2011, le G2T3M regroupe divers acteurs de l’industrie maritime, de la recherche et de la conservation et propose des solutions concrètes pour réduire les risques associés au transport maritime auxquels les mammifères marins s’exposent dans l’estuaire du Saint-Laurent, tout en permettant les activités de la marine marchande et sans en compromettre la sécurité. Cette collaboration a permis, notamment, de faire adopter par les navigateurs du transport maritime des mesures volontaires de réduction de la vitesse et d’évitement de certains secteurs avec une forte densité de baleines. Selon Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), la planification d’une Stratégie maritime devrait se faire dans un même esprit de concertation et de collaboration. « Si les intervenants s’assoyaient autour d’une même table pour évaluer les impacts cumulés des projets de développement maritime et pour développer une Stratégie maritime réellement intégrée et durable, nous n’aurions pas besoin d’agir, encore une fois, de façon réactive pour la protection du béluga et de son habitat critique », déclare-t-il. « Nous savons que Cacouna est un habitat essentiel pour le béluga et nous souhaitons pouvoir appliquer nos connaissances scientifiques pour minimiser les impacts négatifs de ces projets de développement sur cette espèce en déclin », poursuit-il.

Le gouvernement provincial saisira-t-il l’opportunité de rassembler les différents acteurs du milieu pour la mise en œuvre de sa Stratégie maritime? Les investissements fédéraux et provinciaux annoncés au cours des derniers mois seront-ils planifiés d’une façon intégrée et concertée? Les réponses à ces questions seront déterminantes pour l’avenir des mammifères marins du Saint-Laurent.

Sources:

6,7 millions de dollars pour la remise à niveau du port de Cacouna

Le budget de 2016 du gouvernement du Canada: Chapitre 4 – Une économie axée sur une croissance propre

Pêches et Océans Canada: Site d’intérêt de l’estuaire du Saint-Laurent

Québec investit 300 millions de dollars pour le développement des zones industrialo-portuaires

Stratégie maritime du Québec: Plan d’action 2015-2020

L’annonce de Québec suscite de «vives inquiétudes»

Stratégie maritime: rendez-vous manqué pour la conservation

Projet de développement du port de Cacouna – Québec n’a pas appris les leçons de l’abandon du projet de TransCanada

La Stratégie maritime pourrait nuire aux bélugas

Actualité - 8/4/2016

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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