À quel point les bélugas du Saint-Laurent sont-ils contaminés? C’est la question que se posait Antoine Simond lors de son projet de recherche doctoral. Du ruissèlement agricole, en passant par les déversements d’eaux usées et de produits chimiques, les sources de pollution dans le fleuve sont nombreuses. C’est pourtant dans ce milieu que doivent survivre les bélugas, la seule espèce de baleine qui demeure dans le Saint-Laurent toute l’année. Estimée à 900 individus, la population du Saint-Laurent est considérée en voie de disparition. Les difficultés de cette population pourraient être causées en grande partie par les polluants présents dans leur milieu et dans leur alimentation, et qui s’accumulent dans leurs organes.
Le Saint-Laurent contaminé
Dans son projet, Antoine Simond s’intéressait à une catégorie de contaminants particulièrement toxiques: les polluants organiques persistants (POP). Ces derniers regroupent un ensemble de substances qui proviennent principalement des rejets des activités humaines. Les POP représentent une menace majeure à la santé des baleines du Saint-Laurent, puisqu’ils ont la capacité de s’accumuler dans les tissus des animaux et d’y rester emprisonnés. Chez le béluga et bien d’autres animaux, ces polluants causent de nombreux problèmes de santé et éventuellement la mort de certains individus. De plus, les POP se trouvent partout: ils peuvent non seulement parcourir de longues distances dans l’environnement, mais ils mettent également un temps considérable à se dégrader. Ainsi, malgré l’interdiction d’utilisation de certaines de ces substances dans les dernières décennies, on en retrouve encore en quantité importante dans les eaux du fleuve. Les produits qui les ont remplacés, dits « émergents », sont encore mal connus des chercheurs et leur toxicité est peu connue.
Quelques exemples :
- PBDE : Retardateurs de flammes très utilisés dans les dernières décennies afin de réduire les risques d’incendie sur divers objets, tels que les meubles, les appareils électriques et les véhicules. Leur utilisation est maintenant règlementée.
- Retardateurs de flammes halogénés (HFR): Ces nouvelles substances ont remplacé les PBDE.
- Polychlorobiphényles (BPC): Ces isolants électriques très utilisés de 1930-1970.
Afin de dresser un bilan de la présence de certains POP dans la population du béluga du Saint-Laurent, Antoine Simond et son équipe l’ont comparée à une espèce migratrice, soit le petit rorqual. D’abord, ils ont récolté des échantillons de peau et de graisse sur plusieurs individus de ces deux espèces en effectuant des biopsies. Les résultats obtenus suite à l’analyse des échantillons se sont avérés peu rassurants: la concentration de contaminants dans les tissus du béluga était quatre fois plus élevée que dans ceux du petit rorqual! Une réalité toutefois peu surprenante lorsqu’on s’attarde aux différents modes de vie de ces deux espèces. «Les petits rorquals ne baignent pas à longueur d’année dans ce cocktail de contaminants qu’est le Saint-Laurent», explique Antoine Simond. Ensuite, puisque les bélugas se trouvent à un niveau plus élevé dans la chaine alimentaire, ils consomment davantage de contaminants dans leurs proies que les petits rorquals.
L’étude a également montré que plusieurs des polluants s’accumulant dans les tissus des bélugas mâles et des petits rorquals femelles dérèglent le fonctionnement des hormones thyroïdiennes et stéroïdiennes. Ces dernières permettent de maintenir l’équilibre du corps et sont essentielles à la croissance et à la survie. Cependant, aucun lien direct n’a pu être établi entre l’exposition aux polluants et la libération d’hormones dû au faible nombre d’individus échantillonnés.
L'attaque des polluants
Pourquoi sont-ils si néfastes pour la faune sous-marine? Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre le fonctionnement des hormones. Produites par différentes glandes, elles font office de messagères dans le corps et régulent de nombreuses fonctions vitales dans l’organisme, telles que la croissance, la faim et la reproduction. Pour apporter leur message à une cellule donnée, nommée cellule cible, les hormones doivent se lier à un récepteur qu’elles seules sont en mesure d’activer. Ainsi, elles agissent un peu comme une clé qui ouvre une serrure, les deux étant spécifiques l’une à l’autre. Une fois liée à son récepteur, l’hormone agit sur la cellule cible : elle peut causer entre autres sa croissance, sa reproduction ou la synthèse de protéines.
Le contaminant, quant à lui, va prendre la place de l’hormone sur le récepteur. Cette imposture peut générer une réponse différente de la part de la cellule, ce qui cause alors le dérèglement des fonctions vitales de l’animal. Par exemple, les hormones permettant la croissance normale d’un jeune béluga pourraient être bloquées par des contaminants.
Et pour le futur?
Le doctorat d’Antoine Simond est une des rares études à s’intéresser à la concentration de polluants organiques persistants présents dans les baleines du Saint-Laurent. Un pas en avant pour la conservation de la population de béluga, puisque les données obtenues s’inscriront dans les programmes de rétablissement ainsi que dans les plans de gestion des produits chimiques canadiens. Cependant, il reste encore beaucoup d’études à réaliser et de données à récolter pour mieux saisir les enjeux qui touchent cette espèce. Les contaminants chimiques ne constituent pas l’unique menace: la pollution sonore, le dérangement par les humains et la diminution de ses proies représentent tous d’autres défis à comprendre et à régler.