Par Valeria Vergara et Marie-Ana Mikus (chercheuses invitées de Ocean Wise Conservation Association)

Le temps file sur la tour de recherche installée dans la baie Sainte-Marguerite du parc marin Saguenay–Saint-Laurent. Difficile de croire que nous sommes déjà à la mi-saison! Avec plus de 50 vols de drones, 3 semaines d’enregistrements presque en continu et des bélugas dans la baie quasiment tous les jours, nous pouvons dire que c’est une saison productive!

Nous sommes quatre dans l’équipe cette année, ce qui nous rend plus efficaces durant les éreintantes journées à la tour pour le montage-démontage de notre équipement. La plateforme de deux mètres sur trois mètres est aussi petite qu’elle en a l’air, et chacune d’entre nous essaie de rester dans son coin, avertissant avant de pénétrer la bulle de l’autre.

Chacune de nous a une tâche. Jaclyn fait voler le drone au-dessus des groupes comportant des veaux ou des juvéniles pour son projet de maitrise dirigé par le GREMM et la Memorial University sur les soins coopératifs des jeunes. Son projet de recherche est hautement complémentaire avec notre étude sur la communication mère-veau, plus précisément sur la façon dont le bruit dérange le lien acoustique entre les mères et les nouveau-nés (projet en collaboration avec le GREMM et Ocean Wise).

Marie-Ana et moi nous occupons des hydrophones et faisons aussi voler le drone (oui, oui, nous sommes toutes des pilotes de drones certifiées!), mais en focalisant sur l’ensemble du troupeau au lieu de certains groupes. En volant haut dans les airs, nous obtenons un estimé précis de la composition du troupeau, le nombre total d’individus visitant la baie tous les jours et nous comptons les séparations et les réunions entre mères et veaux, appariant cette information avec nos enregistrements acoustiques. Nous gardons à l’œil le nombre d’embarcations, leurs types et leurs distances de la tour (et des bélugas). Josephine s’occupe du travail de photo-identification, photographiant chaque individu qui nage près de la tour, un aspect important des deux projets de recherche.

Chaque minute, les sons captés par nos hydrophones ultra-sensibles résonnent dans les haut-parleurs de notre ordinateur de terrain durant la journée sur la tour. Entendre les bélugas nous ravie. Cet après-midi, nous parlions justement d’à quel point ces sons nous sont devenus familiers. Nous comprenons leur humeur lorsqu’ils passent près de l’hydrophone : que ce soit des bélugas qui se battent ou jouent, un groupe de petits veaux (avec beaucoup de cris de contact!) ou un groupe de mâles (une série de sons très distincts, un peu «mâles», auxquels nous sommes devenues très habituées!). Mais nous sommes encore très loin de déchiffrer le contenu exact de ces incroyables signaux. Marie-Ana fait le parallèle avec une immersion dans une autre langue, lorsque les sons deviennent familiers et qu’on commence à saisir l’essence du propos sans en comprendre les mots.

Cependant, quand ce que crachent les haut-parleurs est le bruit produit par une embarcation, le sentiment n’est pas très agréable. Et malheureusement, c’est ce qui se produit une grande partie de la journée. Si ça devient lassant pour nous, humaines de l’équipe de recherche, nous pouvons seulement imaginer ce que ça doit être pour une créature hautement acoustique comme le béluga!

Bonne nouvelle : de nouvelles mesures de protection dans la baie Sainte-Marguerite établissant une zone d’exclusion ont été instaurées cette année. Nous sommes très curieuses de comparer les enregistrements de cet été à ceux de l’année dernière pour voir dans quelle mesure cette nouvelle législation fera une différence dans la qualité acoustique du paysage. D’après la grande quantité de bruit sous-marin dans la région cette année, nous avons l’impression que la différence ne sera pas encore perceptible, puisque peu de personnes sont au fait des mises à jour de la législation.

Il faudra du temps, de l’éducation et l’application du règlement pour voir la différence. Néanmoins, c’est une première étape plus que nécessaire! Des sanctuaires acoustiques sont vitaux pour les espèces dont le mode de vie est directement lié au son, et nos bien-aimés bélugas du Saint-Laurent ont besoin de toute l’aide qu’ils peuvent recevoir.
Carnet de terrain - 2/8/2018

Collaboration Spéciale

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