Et si l’avenir de la protection des cétacés ne reposait plus seulement sur les humains, mais aussi sur l’intelligence artificielle?

En quelques mois, cette nouvelle technologie, communément appelée IA, a pris d’assaut la société. On la retrouve aussi dans le milieu de l’environnement, où elle nous aide depuis quelques années à protéger les baleines!

Les scientifiques utilisent l’intelligence artificielle pour la détection, la surveillance, la classification, l’identification, le suivi des espèces de cétacés sur le long terme, et pour mieux les comprendre. L’IA couvre plus de terrain et procure des données précises, à jour, et standardisées. Avant tout, elle aide à économiser du temps aux scientifiques! Plongeons dans le monde quelque peu compliqué de cet outil révolutionnaire.

Où sont les baleines? : Détecter pour mieux protéger

La détection d’un mammifère marin à l’œil nu nécessite une formation et beaucoup de pratique! C’est pourquoi de nombreux organismes environnementaux et entreprises investissent dans l’intelligence artificielle pour les aider à détecter les mammifères marins. Des systèmes d’IA peuvent détecter, analyser et rapporter en temps réel la présence de navires, de matériel de pêche et de cétacés à plusieurs kilomètres. Ainsi, les navires sont prévenus et peuvent ralentir et modifier leur trajectoire pour éviter des collisions. Les bases d’exploitation minière en eaux profondes, les études sismiques, et les constructions de parcs éoliens peuvent aussi cesser leurs activités pour respecter les lois environnementales et éviter de perturber ou de blesser les cétacés.

Fait au Québec!

La compagnie canadienne Whale Seeker, en collaboration avec le MPO et Edgewise Environmental, a développé de nouveaux systèmes de détection de cétacés grâce à l’intelligence artificielle. L’un de ces outils, AI Möbius OBSERVER, détecte si un animal est présent en temps réel grâce à l’usage de drones qui traitent les images prélevées dans l’environnement et notifient l’observateur ou l’observatrice des mammifères marins (OMM).

Prendre de la hauteur

On doit parfois aussi chercher les cétacés depuis un point de vue qui couvre un plus grand espace. Ce sont des tâches qui nécessitent beaucoup de rigueur et de temps aux analystes!

Global Spatial Technology Solutions (GSTS) détecte depuis les satellites de l’Agence Canadienne Spatiale les baleines noires de l’Atlantique Nord. En utilisant les données de modélisations des routes empruntées par le trafic maritime et des modèles de déplacement des baleines noires lors de l’alimentation, GSTS espère anticiper de potentielles collisions en traquant les baleines et les navires aux environs.

Afin d’identifier les zones à haute densité des populations menacées de baleines noires de l’Atlantique Nord et des bélugas de Cook Inlet en Alaska, une initiative du projet GAIA (Geospatial Artificial Intelligence for Animals) détecte ces cétacés depuis des images satellitaires de haute résolution.

Mettez-vous dans la peau d’un analyste et cherchez le mammifère marin dans cette image aérienne prise, parmi de milliers d’autres, pour effectuer un relevé des phoques.

Regardez la prochaine image pour voir le mammifère marin! © NOAA
Développé à l'origine pour la détection des baleines, le système d'IA s'est avéré flexible et robuste pour la détection d'autres espèces de mammifères marins. Ici, l’intelligence artificielle de Whale Seeker Möbius a détecté un phoque sur la banquise. © NOAA

À l’écoute des cétacés

Surveiller les cétacés visuellement depuis les airs ou les mers peut s’avérer difficile logistiquement et coûteux. L’acoustique passive, à des fins d’analyses spécifiques, est rentable pour surveiller les mammifères sur des saisons et des années entières!

Dans un travail de détection et de classification de l’espèce, le modèle INSTINCT analyse des mois d’enregistrement à la recherche des vocalisations des bélugas de Cook Inlet. Le modèle est très précis et a pu effectuer en une nuit un travail qui s’effectue manuellement en deux semaines. INSTINCT a aussi détecté et classifié 18 millions de vocalises de rorquals communs en deux mois, économisant 6 ans de travail aux scientifiques. De plus, il a apporté des réponses concernant les aires de distribution saisonnières de ces rorquals dans les mers de Béring et des Tchouktches.

Dans le Saint-Laurent, le chercheur Clément Chion développe l’IA avec le Groupe de Recherche sur les Mammifères marins (GREMM) pour détecter les cris des bélugas à partir de milliers d’heures d’enregistrements acoustiques. Ils espèrent pouvoir localiser et émettre des prévisions sur l’emplacement futur des bélugas entendus. Dans ce cas, l’IA permettra de mieux gérer l’environnement que ces baleines blanches partagent avec les activités humaines. L’IA s’implante globalement et localement!

Trouver les baleines noires grâce à leurs vocalisations

Chez nos voisins du sud, NOAA et le Skidaway Institute of Oceanography utilisent un sous-marin équipé d’un hydrophone appelé ANGUS. Ce système intelligent détient une bibliothèque des vocalisations de cette espèce, lui permettant d’identifier la présence d’un individu dans le vacarme ambiant de l’océan. Des alertes sont envoyées aux capitaines de navires en temps réel pour les prévenir de ralentir dans des zones de fort trafic maritime, surtout proche des côtes et des grands ports. Grâce à cet outil, l’institut a détecté par le son pour la première fois une baleine noire de l’Atlantique Nord dans le sud-est des États-Unis en janvier 2023!

Les eaux de la côte du sud-est sont une zone d’ombre dans le réseau des centres de recherches américains qui traquent les baleines noires le long de la côte est.

En partenariat avec la première nation Gitga’at et le North Coast Cetacean Society, WWF-Canada mène le projet SWAG depuis 2020 en Colombie-Britannique. Quatre hydrophones équipés d’un GPS surveillent 200 km2 de terrain dans le chenal Squally, pour détecter les sons des cétacés, leur localisation, leur nombre et leur déplacement. L’algorithme différencie les sons, parfois non perceptibles à l’oreille humaine, des épaulards, des rorquals communs et des rorquals à bosses. Plus la quantité de données récoltées est importante, plus l’outil sera en mesure d’associer des vocalisations à des comportements (socialisation, alimentation, etc.): on appelle cela l’apprentissage automatique!

L’IA pour classifier et identifier : le défi des bélugas

De nombreux centres de recherches incorporent maintenant l’IA afin d’économiser du temps aux scientifiques, sur des tâches spécifiques qui sont monotones… comme celle de l’identification des cétacés! Effectuer ce travail ardu manuellement est très long en raison de plusieurs facteurs, qui varient selon les espèces mises sous la loupe. La qualité des images varie tout comme le temps alloué pour identifier les individus.

Prenons l’exemple québécois de l’identification des bélugas. Les bélugas sont particulièrement difficiles à identifier du fait de leur couleur, qui change à travers le temps. Ils ont même des marques qui disparaissent! Le seul moyen de les identifier correctement est en utilisant des marques distinguables sur les flancs ou encore sur leur crête dorsale. À la fin d’une seule journée de recherche sur l’eau, les scientifiques peuvent avoir pris des centaines de photos de bélugas.

Cette tâche de photo-identification demande beaucoup de concentration et s’avère répétitive. C’est ici que l’assistance par IA entre en jeu. Le logiciel d’intelligence artificielle isole les bélugas, qui se tiennent souvent proches les uns des autres, et les recadre individuellement dans de nouvelles photos. Il distingue aussi les flancs gauche et droit en plus d’identifier les bélugas déjà connus par le centre. Dans le cas contraire, l’animal obtiendra un nouveau code unique.

Qui suis-je ?

L’IA aide aussi à classifier les bélugas selon l’emplacement, le type, et le degré de marques comme des blessures graves, des cicatrices, des tâches, etc. Ainsi, les scientifiques peuvent comparer et repérer plus facilement une potentielle correspondance en regroupant les individus qui présentent des marques similaires.

Faire le suivi des populations grâce à l’IA

L’IA peut permettre d’évaluer l’état de santé des cétacés. Une équipe de recherche du GREMM compte aussi intégrer l’IA à la photogrammétrie pour effectuer du suivi de population chez les bélugas du Saint-Laurent. La photogrammétrie, une mesure quasi complète de l’animal, permet d’évaluer la condition physique, de repérer les grossesses, et même de différencier les mâles des femelles de façon non-invasive. L’IA sauvera du temps aux scientifiques en mesurant les animaux automatiquement et rapidement! Une technique de développement semblable pour le suivi des grands rorquals pourrait aussi être développée.

Ces données servent à surveiller le bien-être des cétacés et à remarquer si une population s’adapte ou non à des changements dans son environnement.

Une future conservation intelligente mais responsable

Il ne fait aucun doute que l’IA est importante, et pourrait devenir essentielle pour la protection des espèces menacées. Son usage lui permet de détecter, d’identifier, et de comprendre les structures sociales et la communication des cétacés. Elle peut apporter plus de compréhension quant à l’étude des populations : à leur taille, leur répartition et leur longévité. Il est possible de comprendre comment les cétacés utilisent leurs habitats et de cartographier les modèles de migration. L’étude des cétacés par ordinateur, comme pour le suivi, est une méthode moins invasive, car elle ne nécessite pas de poses de balise.

L’IA permet de raccourcir le temps entre la détection et la prise de décision, et de donner accès à des données récentes. Des données fiables rapidement transmises ne seront que bénéfiques pour les décisions économiques, sociales, politiques et environnementales, qui concernent la protection des espèces.

Défis et limites

Néanmoins, l’IA apporte son lot d’obstacles. Tout d’abord, il faut lui fournir une grande quantité de données pour qu’elle soit efficace et précise. De plus, l’erreur est toujours possible et les données peuvent être inexactes! L’humain doit rester investi dans l’IA, car l’expertise des scientifiques pour interpréter les données est essentielle. Il faut aussi s’assurer que l’usage de cette technologie reste responsable. Elle ne doit pas être détournée de son rôle scientifique et utilisée à d’autres fins, comme pour le braconnage, les baleiniers ou encore le tourisme de masse. Malgré tout, l’IA nous ouvre à toutes sortes de possibilités. À nous de les saisir !

Actualité - 12/8/2024

Thalia Cohen Bacry

Thalia Cohen Bacry est rédactrice scientifique pour le GREMM après avoir été naturaliste en 2023. Diplômée de UBC, elle a complété une maîtrise en études internationales à l’Université Laval et poursuit un apprentissage dans plusieurs domaines, dont la géographie, les sciences politiques et le comportement animal. Fascinée depuis toujours par la protection de l’environnement, elle a grandi en Savoie, entourée des lacs et des montagnes, avant d’immigrer au Canada et de découvrir des espaces encore plus grands et plus sauvages. Intrépide, curieuse, et persévérante elle aime apprendre, observer, et analyser afin de sensibiliser à la sauvegarde de nos océans et ainsi contribuer à leur protection.

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