Les biologistes sont en train d’apprendre à lire l’histoire de la vie d’une baleine inscrite dans ses fanons. Comme les anneaux de croissance d’un arbre ou les couches géologiques de la Terre, les fanons des baleines sont de véritables archives, qui peuvent nous en dire long.
Les baleines à fanons, même si certaines peuvent peser jusqu’à 135 tonnes et mesurer plus de 25 mètres, sont difficiles à suivre. Certaines parcourent des milliers de kilomètres chaque année, cachées dans l’immensité de l’océan, à l’abri du regard des chercheurs. Pour plusieurs espèces, dont certaines en voie de disparition, bien des mystères persistent quant à leurs habitats saisonniers, leurs routes migratoires, leur reproduction et les menaces auxquelles elles font face.
Pour mieux comprendre ces baleines, les scientifiques ont développé diverses techniques au cours des dernières décennies. La plupart de ces techniques, dont l’observation des animaux à partir de bateaux, d’avions et, plus récemment, de drones, ainsi que l’analyse des excréments ou des gouttelettes d’eau et d’huile expulsées lors de la respiration, ne procurent qu’un aperçu de l’état d’une baleine au moment précis où les données ou les échantillons sont recueillis.
À la fin des années 1980, les scientifiques ont découvert que certains évènements de la vie d’une baleine laissent des traces biochimiques dans ses fanons. Les fanons sont de véritables archives des dernières années précédant la mort de l’animal. On peut recueillir des informations mensuelles, et même hebdomadaires. Plus on s’éloigne de la gencive, plus on remonte dans le temps. La longueur des fanons est variable selon les espèces. Chez le petit rorqual, par exemple, on peut rarement remonter plus d’un an en arrière. Chez les rorquals bleus et communs, on parle de 4 à 5 ans. Chez la baleine noire de l’Atlantique Nord et la baleine boréale, on peut remonter 10 à 25 ans en arrière!
Des chercheurs ont analysé plusieurs composés accumulés dans les fanons, dont la progestérone, une hormone impliquée dans la gestation; le cortisol, une hormone de stress; et les isotopes stables d’azote et de carbone, qui varient selon le type de proies ingérées et la région où l’animal s’est alimenté.
Dans une étude publiée en mai 2016, des chercheurs ont analysé les taux de progestérone dans les fanons de deux baleines noires de l’Atlantique Nord, décédées suite à une collision avec un navire. Ces deux individus avaient été observés avec des nouveau-nés au cours des dernières décennies. Les chercheurs ont découvert des taux de progestérone dramatiquement plus élevés dans les sections des fanons produites lorsque ces individus étaient en gestation. Ceci démontre le potentiel des fanons pour mieux comprendre la biologie reproductive et l’historique de reproduction des baleines à fanons.
Lorsqu’un grand rorqual s’échoue sur les rives du Saint-Laurent, l’équipe de Véronique Lesage (IML-MPO) se rend sur les lieux pour récupérer les fanons. Ces fanons, étant d’importants témoins du passé, sont questionnés en laboratoire. L’équipe étudie les hormones stéroïdiennes — dont la progestérone — pour connaitre l’intervalle entre les naissances et ainsi mieux comprendre l’historique de reproduction. Elle couple ces analyses à des analyses de mercure et de certains isotopes stables présents dans les fanons: ceci permet de tracer les mouvements des animaux entre des milieux qui diffèrent dans ces caractéristiques et ainsi suivre les migrations ou les non-migrations. Les isotopes stables servent aussi à examiner la diète des grands rorquals et ses variations saisonnières et interannuelles.
Les chercheurs ont donc bon espoir que l’analyse des composés accumulés dans les fanons leur permettra, au cours des prochaines années, d’élucider plusieurs mystères entourant ces baleines.
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