Depuis quelques années, les scientifiques mesurent une diminution alarmante des concentrations en oxygène dans les profondeurs du Saint-Laurent par rapport à ce qu’elles étaient en 1930. Ce phénomène découlerait à la fois de causes naturelles et humaines : les scientifiques constatent des changements dans la composition des masses d’eau en provenance de l’océan, un phénomène naturel dont on ne connaît pas la cause. Ils soulignent aussi l’augmentation de matières organiques en provenance des Grands Lacs et du fleuve, résultat de diverses activités humaines. Aujourd’hui, l’estuaire du Saint-Laurent s’ajoute à la liste des 400 zones côtières du monde qui souffrent d’hypoxie, soit un faible taux d’oxygène. Bonne nouvelle cependant, la situation est stable depuis 5 ans, selon les chercheurs de Pêches et Océans Canada et de l´Institut des Sciences de la Mer à Rimouski (ISMER).
UN CONSTAT INQUIÉTANT
En 2003, ces chercheurs sonnaient l’alarme. Certaines zones profondes de l’estuaire souffraient d’un déficit d’oxygène. La teneur en oxygène dissous était inférieure à 2 mg par litre d’eau, soit le seuil critique en dessous duquel plusieurs organismes éprouvent des difficultés à vivre. Les eaux du golfe étaient également touchées : les concentrations de certaines zones étaient inférieures à 3 mg par litre d’eau. Depuis 5 ans, ces concentrations semblent être stables, mais les recherches se poursuivent pour mieux comprendre les causes et les impacts de ce phénomène des plus inquiétants.
LES RESPONSABLES
Cette chute d’oxygène s’expliquerait d’une part, par les changements observés dans le courant qui circule dans l’estuaire depuis le golfe. Ce courant est formé de la rencontre entre le courant du Labrador, froid et bien oxygéné, et celui du Gulf Stream, plus chaud et plus pauvre en oxygène. Selon les recherches de Pêches et Océans Canada, l’apport du courant du Labrador représentait 72 % dans les années 1930 et celui du Gulf Stream, 28 %. Au milieu des années 1980, ces proportions étaient passées à 53 et 47 % respectivement. « On ne sait pas pourquoi un tel changement s’est produit » avoue Denis Gilbert, chercheur à l’Institut Maurice-Lamontagne (IML). « Par contre, on sait qu’il en a résulté un réchauffement de près de 2 °C des eaux profondes. Or, la courbe de ce réchauffement au fil du temps correspond bien à celle de la diminution de l’oxygène ». L’augmentation de matières organiques en provenance des Grands Lacs et du fleuve, entre autres avec l’agriculture et les rejets d’eaux usées, aurait aussi une part de responsabilité. Les nitrates et phosphates sont de véritables engrais pour la floraison des algues. Lorsque ces grandes quantités d’algues meurent, elles se déposent au fond entraînant une plus grande décomposition et ainsi une plus grande consommation d’oxygène.
LES IMPACTS SUR LA FAUNE
« L’hypoxie entraîne généralement une perte de biodiversité et éventuellement une diminution de la biomasse » fait valoir Denis Gilbert. Plusieurs études consacrées à la morue ont présenté des résultats inquiétants pour cette population déjà fragilisée par la surpêche. Dans le golfe, à une concentration de 3 mg/l, on observe une importante perte de productivité évaluée à 17 % par rapport à ce que l’on verrait dans des conditions optimales d’oxygène. Quant aux zones plus gravement atteintes de l’estuaire (2mg/l ou moins), la morue en est totalement absente. De plus, la microfaune d’invertébrés benthiques s’est passablement modifiée. Certaines espèces plus tolérantes à une faible teneur en oxygène ont pris la place d’autres espèces moins bien adaptées et cela se répercute sur toute la chaîne alimentaire.
UNE PROBLÉMATIQUE MONDIALE
L’extension de ces zones appauvries en oxygène est une grave menace pour les écosystèmes côtiers et pour les milliers de personnes qui en dépendent pour se nourrir et comme source de revenu. Déjà, 400 zones côtières sont répertoriées dans le monde, alors qu’elles étaient pratiquement inexistantes dans les années 1970. Parmi les premières qui ont été observées dans l’hémisphère Nord, on retrouve la baie de Chesapeake sur la côte Est des États-Unis ainsi que plusieurs fjords scandinaves. De plus, la réhabilitation de ces zones est difficile et elle prend des années. Actuellement, c’est seulement 4% des zones menacées qui présentent des signes d’amélioration.