Oui. Par exemple, en 2012, dans la baie de Monterey en Californie, une équipe de la BBC filme l’intervention de deux rorquals à bosse pour protéger une jeune baleine grise pourchassée par des épaulards. Le baleineau finit par mourir, mais une quinzaine d’autres rorquals à bosse arrivent par la suite sur les lieux et s’interposent entre les épaulards et leur proie, les empêchant de la dévorer. Lors de cette intervention, les rorquals produisent de puissants sons et donnent de violents coups de queue à l’approche d’un épaulard et demeurent « aux aguets » pendant plusieurs heures.

Plus d’une centaine d’interactions de la sorte, entre rorquals à bosse et épaulards, ont été documentées entre 1951 et 2012 et ont servi à une étude de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) publiée dans le journal Marine Mammal Science en 2016Les chercheurs estiment que 95 % des épaulards impliqués étaient des « mangeurs de mammifères » et que dans 89 % des incidents observés, les rorquals s’approchaient une fois que les épaulards se mettaient en chasse, et choisissaient d’intervenir précisément pour interrompre la chasse. Quant aux proies, elles appartenaient en grande majorité (89 %) à d’autres espèces (cétacés, pinnipèdes et poissons). Les chercheurs s’interrogent: pourquoi les rorquals à bosse risquent-ils leur vie et perdent-ils de l’énergie au profit d’autres espèces?

Selon les auteurs, les rorquals à bosse harcèlent les épaulards de manière préventive, par peur qu’ils ne s’attaquent à leurs propres jeunes. Plusieurs des rorquals impliqués dans ces interactions présentaient des marques d’attaque d’épaulards. Des rorquals qui se seraient fait attaquer par des épaulards alors qu’ils étaient jeunes auraient-ils conservé une méfiance envers leurs assaillants? Ils interviendraient alors sans vraiment connaitre la nature de la proie chassée par l’épaulard. Ce comportement, surnommé « harcèlement du prédateur », s’observe entre autres chez les oiseaux et les mammifères, notamment chez certaines espèces de baleines à dents — par exemple, des globicéphales noirs qui s’en prennent à des épaulards dans le détroit de Gibraltar. Chez les baleines à fanons, ce comportement n’a été observé que chez les rorquals à bosse. Ces derniers « harcèlent » non seulement les épaulards, mais aussi les globicéphales et les faux-orques.

Les chercheurs avancent aussi l’hypothèse de l’altruisme. Les rorquals à bosse ont des comportements sociaux complexes et peut-être que ces attaques, peu risquées pour des adultes capables de se défendre, pourraient resserrer les liens familiaux. Selon ces chercheurs, l’altruisme interspécifique serait en quelque sorte accidentel.

Les baleines en questions - 13/2/2017

Marie-Sophie Giroux

Marie-Sophie Giroux s’est jointe au GREMM en 2005 et y a travaillé jusqu’en 2018. Elle détient un baccalauréat en biologie marine et un diplôme en Éco-conseil. Chef naturaliste, elle supervise et coordonne l’équipe qui travaille au Centre d’interprétation des mammifères marins et rédige pour Baleines en direct et Portrait de baleines. Aux visiteurs du CIMM ou aux lecteurs, elle adore « raconter des histoires de baleines ».

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