Une étude de cas menée à Juneau, en Alaska, démontre le potentiel des excursions d’observation des baleines en tant qu’instrument éducatif et de sensibilisation du public à la protection des baleines et de l’environnement marin. Cette étude révèle également l’importance de gérer les attentes des passagers durant l’excursion, par exemple en les informant des règlements en place pour protéger les cétacés.

L’industrie d’observation des baleines en mer, apparue au début des années 1950, est en plein essor. Il y a une croissance mondiale de l’intérêt pour l’observation des mammifères marins dans leur habitat naturel. En 2008, plus de 13 millions de personnes dans 119 pays ont participé à des excursions d’observation des baleines, générant une valeur économique annuelle globale de 2,1 milliards de dollars, selon un rapport du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW).

Au cours des dernières années, plusieurs études ont analysé les effets des activités d’observation sur les baleines et ont démontré que la proximité des bateaux d’observation peut modifier le comportement des baleines, interrompre leurs activités vitales, tels l’alimentation, le repos et le soin des jeunes, et ainsi potentiellement limiter le rétablissement de certaines populations (voir notre article récent Une proximité qui trouble le repas du rorqual bleu). Des mesures règlementaires ont donc été mises en place dans de nombreuses régions afin de minimiser les effets négatifs des activités d’observation.

Cependant, jusqu’à ce jour, peu d’études ont analysé la valeur éducative et environnementale de ces excursions d’observation des baleines. Ces excursions pourraient-elles être de bonnes occasions de diffuser des messages éducatifs et de conservation, pouvant avoir des effets positifs à court et à long terme sur la protection des baleines et de l’environnement marin? Des chercheurs ont tenté de répondre à cette question par une étude de cas à Juneau, en Alaska.

Juneau, Alaska

Destination de choix pour l’observation des baleines, Juneau accueille chaque été environ 250 000 touristes qui viennent y observer les baleines à bosse dans leur aire d’alimentation estivale. Ces baleines à bosse appartiennent à la population du centre du Pacifique Nord, dont la croissance est estimée à 5 à 7 % par année.

Dans le cadre de l’étude de cas, 95 passagers ont répondu à un questionnaire écrit après leur excursion et 24 entrevues ont été réalisées. «La majorité des passagers ont déclaré que la plupart de leurs connaissances sur les baleines ont été acquises lors de leur excursion en mer, surpassant ainsi l’influence des documentaires télévisés et des autres formes de médias», mentionne Heidi C. Pearson, professeure agrégée en biologie marine à l’Université de Alaska Southeast (UAS) et une des auteurs de l’étude. «Ces excursions en mer ont donc un énorme potentiel éducatif», poursuit-elle.

Cependant, les chercheurs ont été surpris de découvrir qu’après leur excursion, la plupart des passagers n’avaient aucune connaissance des directives ou des règlements en place pour protéger les cétacés lors des excursions. L’étude démontre également que les deux principaux critères de la qualité de l’excursion, selon les passagers, sont la proximité des baleines et l’observation de comportements intéressants.

Selon Heidi Pearson, «les capitaines de bateaux d’observation peuvent ressentir une pression d’approcher les baleines afin de répondre aux attentes des passagers. Informer les passagers des règlements, des raisons pour lesquelles ces règlements ont été mis en place et de la façon dont ils protègent les baleines peut aider à gérer les attentes des passagers, car ils comprennent alors pourquoi le bateau ne peut s’approcher davantage ou ne peut rester plus longtemps à proximité des baleines. Les passagers peuvent ainsi vivre une expérience d’observation plus satisfaisante, tout en protégeant les ressources marines dont dépend cette activité.»

Pour que les excursions d’observation des baleines soient des occasions d’éduquer et de sensibiliser le public et pour que les messages diffusés soient exacts, «les naturalistes et les autres membres de l’équipage devraient recevoir une formation appropriée», suggère la chercheuse. Et pour permettre aux messages reçus sur le bateau d’avoir un effet durable, «l’excursion d’observation des baleines pourrait être une occasion d’informer les passagers des mesures qu’ils peuvent prendre pour protéger le milieu marin lorsqu’ils rentreront chez eux, même s’ils vivent loin de l’océan», propose-t-elle.

Au cours des prochaines saisons, les chercheurs poursuivront leur étude de cas à Juneau en faisant une analyse plus approfondie des couts et des avantages de l’observation des baleines à bosse dans cette région. Ils observeront les effets à court terme de la présence des bateaux d’observation sur le comportement et le mouvement des baleines, ainsi que l’évolution des connaissances, des valeurs, des attitudes et des comportements des passagers avant, 24 h après et 6 mois après leur excursion. 

Et dans le Saint-Laurent?

Le Saint-Laurent est un autre endroit renommé pour l’observation des baleines en Amérique du Nord, avec près de 300 000 visiteurs par année qui font de l’observation en mer dans le Parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Les excursions organisées dans le parc marin, où l’on retrouve huit espèces de baleines, dont trois en péril, sont-elles ou pourraient-elles être des occasions d’éduquer et de sensibiliser le public à la protection des baleines et de l’environnement marin?

Dans une étude de cas réalisée à Tadoussac et publiée en 2002, près du tiers des 31 observateurs de baleines interviewés avait affirmé n’avoir rien appris de nouveau en participant à l’activité d’observation. Les observateurs les plus sensibilisés aux questions environnementales avaient exprimé leur déception de constater l’absence de contenus explicitement axés sur la conservation et un certain nombre de participants auraient aimé qu’on les informe quant à la façon dont ils pourraient participer à la conservation des baleines ou modifier leurs propres comportements. Selon les auteurs de cette étude, il serait opportun que les personnes qui sont en contact étroit avec les baleines — les capitaines, les naturalistes et les scientifiques — «racontent leurs interactions avec les baleines et qu’elles fassent connaitre le monde et les activités de ces dernières. C’est là un aspect qui a été grandement apprécié des participants qui ont eu la chance de le découvrir et dont les autres ont déploré l’absence.»

«Depuis cette étude de cas, de nombreux efforts ont été faits pour améliorer la valeur éducative des excursions d’observation des baleines dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, et les efforts se poursuivent», mentionne Patrice Corbeil, vice-président et directeur des programmes éducatifs du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM). Reconnaissant le pouvoir de sensibilisation des excursions en mer, cinq entreprises d’excursion, Parcs Canada, la SÉPAQ et le GREMM ont créé l’Alliance Éco-Baleine en 2011 pour améliorer de façon continue la pratique des observations en mer et la qualité de l’information diffusée aux passagers. Dans le cadre de cette Alliance, de la formation continue est offerte aux capitaines-naturalistes et plusieurs outils ont été développés. Entre autres, des Portraits de baleines, préparés par les scientifiques du GREMM, sont diffusés chaque semaine aux capitaines-naturalistes durant la saison estivale, afin qu’ils puissent connaitre et reconnaitre les baleines présentes dans le Saint-Laurent et communiquer cette information, en plus de leur passion, au public.

Actualité - 7/7/2017

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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