La concentration en acide a augmenté de façon considérable en 75 ans dans les eaux profondes de l´estuaire. Les chercheurs considèrent trois pistes pour l´expliquer: l´absorption du gaz carbonique, la dégradation microbienne des organismes et le réchauffement des eaux, qui sont tous les trois en augmentation. Ces résultats ont été livrés par une équipe d´océanographes à bord du Coriolis II.
L´équipe est composée des chercheurs Alfonso Mucci de l´université McGill de Montréal, Michel Starr et Denis Gilbert de l´Institut Maurice-Lamontagne de Pêches et Océans Canada à Mont-Joli et Bjorn Sundby de l´université McGill et de l´Institut des Sciences de la Mer de Rimouski. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Atmosphère-Ocean (à l ‘automne 2011 (Acidification of Lower St. Lawrence Estuary Bottom Waters). La revue Québec Science a rapporté cette étude comme l´une des dix plus grandes découvertes de l´année 2011.
Cette équipe a mesuré le pH des eaux profondes de l´estuaire, entre le fjord du Saguenay et Sept-Iles, en menant cinq missions à bord du Coriolis II en 2006 et 2007 pour recueillir des échantillons. En les comparant avec les données de 1930, le pH a diminué de 0,2 à 0,3 point. Le pH étant calculé selon une formule logarithmique, une baisse de 0,1 point correspond à une augmentation de la concentration en acide de 30 %. Cette augmentation est plus importante que celle observée dans les océans qui auraient vu leur pH s´abaisser en moyenne de 0,1 point depuis le début de la révolution industrielle.
Comment l´estuaire absorbe le gaz carbonique
Les eaux océaniques s´acidifient parce qu´elles absorbent le CO2 des GES (gaz à effet de serre) générés par les activités humaines et rejetés dans l´atmosphère. Lorsqu´il se dissout dans l´eau, le CO2 produit de l´acide carbonique. Mais Bjorn Sundby souligne que les choses ne sont pas aussi simples dans les profondeurs de l´estuaire, « car les eaux du fond ne se mélangent pas avec celles de la surface et sont donc isolées de l´atmosphère ». Ainsi, pour l´équipe embarquée sur le Coriolis II, la diminution du pH dans l´estuaire est de 4 à 6 fois plus importante que ce qui est attribuable au transfert du CO2 des activités humaines.
Bjorn Sundby explique à la revue Québec Science la provenance du CO2 dans le Saint-Laurent: « Les eaux entrent dans le fleuve par le détroit de Cabot en provenance de deux sources, la mer du Labrador et le nord-ouest de l ‘Atlantique, qui correspond grosso modo au Gulf Stream, explique Bjorn Sundby. Or, ces eaux sont plus acides qu´autrefois.» Avec les marées, ces deux masses d´eau froide et salée plongent dans les profondeurs de l´estuaire et y restent de quatre à sept ans avant d´atteindre l´embouchure du Saguenay. Elles remontent alors vers la surface et repartent vers le golfe du Saint-Laurent.
Les deux autres pistes
Tout d´abord, la production de CO2 métabolique issue de la dégradation microbienne de la matière organique s´est amplifiée dans le Saint-Laurent. Les nutriments, notamment les nitrates, en provenance des rejets des eaux usées des municipalités, industrielles ou agricoles, accélèrent la production de phytoplancton à la surface. Le phytoplancton sert de nourriture au zooplancton qui, à son tour, nourrit d´autres organismes. Ces derniers finissent par mourir et tomber doucement dans les profondeurs. « Des bactéries décomposent cette matière organique et, ce faisant, consomment l ‘oxygène dissous et dégagent du CO2 », explique Alfonso Mucci.
La deuxième piste à considérer est le réchauffement des eaux du fond de quelques degrés qui accélèrent la décomposition de la matière organique par les bactéries. à cause de changements dans la circulation océanique, l ‘apport d´eau en provenance du nord-ouest de l´Atlantique s´est accru dans l´estuaire du Saint-Laurent, alors que l ‘eau issue de la mer du Labrador, plus froide, a diminué. L´équipe hésite à pointer du doigt les changements climatiques pour expliquer la modification de la circulation océanique. « Ce n´est pas confirmé, dit Bjorn Sundby. Cela pourrait aussi être dû à une variation naturelle. »
Pour leurs prochaines missions, les scientifiques poursuivent leurs objectifs afin d´anticiper les impacts de l´acidification sur la biodiversité du Saint-Laurent. De manière générale dans les océans, on observe que certains mollusques n ‘arrivent plus à former leurs coquilles de carbonate de calcium, qui se dissolvent dans les eaux trop acides. [Québec Science, Atmosphère-Ocean]
En savior plus
Sur le site de Québec Science : L´estuaire tourne au vinaigre