Déterminer l’âge d’un béluga sauvage, c’est tout un défi. Alors quand des chercheurs étasuniens mettent au point une technique permettant de connaitre l’âge d’un béluga grâce à un petit prélèvement de peau, forcément, c’est une affaire à suivre! L’équipe a réussi à établir une «horloge épigénétique» pour les bélugas du Cook Inlet, en Alaska, une technique récente, mais pas nouvelle, utilisée pour la première fois sur une population de bélugas. Baleines en direct revient sur cette publication scientifique en quatre questions clés.

Qu’est-ce que c’est une «horloge épigénétique»?

Notre ADN correspond à notre bagage génétique, notre bibliothèque personnelle qui contient toute l’information nous concernant. Mais à l’intérieur de notre corps, chaque cellule ne lit pas l’intégralité de cette immense bibliothèque, seulement les quelques livres dont elle a besoin. Ainsi, l’épigénétique s’intéresse à tous les éléments qui vont définir quels gènes sont utilisés ou non dans chaque cas et à chaque endroit.

L’un de ces éléments «régulateurs» est la méthylation: un groupement chimique qui vient se fixer à certains endroits sur le brin d’ADN pour favoriser ou limiter l’expression des gènes. Or, depuis quelques décennies, les chercheurs ont découvert que la méthylation changeait de manière prévisible au cours du vieillissement, selon un schéma qu’on nomme «horloge épigénétique». Une fois cette horloge établie, il est donc possible de déduire l’âge d’un individu en cherchant, au bon endroit, la présence ou l’absence de méthylation sur l’ADN. Il suffit pour cela de quelques cellules, par exemple des cellules de peau prélevées par biopsie.

Cette technique est relativement récente, mais est déjà bien documentée chez de nombreuses espèces. L’humain, évidemment, a été au cœur des recherches, et au cours des années, diverses horloges épigénétiques s’appuyant sur des sites de méthylation différents ont été proposées. Parmi les autres espèces pour qui une horloge épigénétique a déjà été établie, on peut citer la souris, le chimpanzé, le chien, ou encore du côté des baleines le rorqual à bosse, le grand dauphin et le petit rorqual. Il s’agit d’une première pour le béluga.

Existe-t-il d'autres méthodes pour connaitre l'âge d'un béluga ?

Jusqu’ici, la méthode la plus fiable pour déterminer l’âge d’un béluga était de compter les stries de croissance à l’intérieur d’une de ses dents. Autant dire que cette technique s’applique seulement aux carcasses de bélugas!

Au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), les chercheurs, qui suivent la population des bélugas du Saint-Laurent depuis 35 ans, ont aussi développé leurs propres outils pour évaluer l’âge d’un individu en fonction de sa couleur. En effet les bélugas passent progressivement du gris au blanc au cours de leurs premières années de vie, ce qui donne une indication sur leur âge. En analysant les albums de photos des individus dont on est certain de l’âge, soit parce qu’ils sont connus depuis leur naissance soit parce qu’à leur mort, leurs dents ont été analysées, les chercheurs du GREMM ont pu calibrer leur «charte de couleur».

Cette analyse a ainsi permis de déterminer que la transition du gris foncé au gris pâle ou blanc sale survient entre 8 et 10 ans, puis que la transition du gris pâle ou blanc sale au blanc, survenait, elle, entre l’âge de 14 et 16 ans. Cette méthode reste imprécise sur une seule rencontre, les nuances de gris étant parfois difficiles à distinguer sur le terrain ou sur les photographies. Mais lorsque l’historique des observations d’un individu photo-identifié couvre une des périodes de transition, cette charte permet d’avoir une bonne idée de l’âge du béluga.

À quoi ça sert de connaitre l'âge d'un béluga?

À savoir combien de bougies acheter pour leur fête? Pas vraiment! Tout comme les bélugas du Saint-Laurent, les bélugas de Cook Inlet sont en péril, et leur population est en déclin. Pour mieux connaitre les menaces qui pèsent sur ces cétacés, il est important de mieux comprendre la population, sa structure d’âge, et sa capacité de reproduction.

On peut ainsi utiliser l’horloge épigénétique en combinaison avec d’autres données. «Quand on fait une analyse de contaminants par exemple, les variables sexe et âge sont hyper importantes, précise Robert Michaud. Ça nous permet entre autres de mieux comprendre comment les contaminants s’accumulent avec l’âge. »

De même, certains chercheurs réalisent des prélèvements de gras sur les bélugas pour mesurer le taux d’hormones et déterminer le nombre de femelles en gestation. Si on est capable de lier cette donnée avec l’âge des femelles échantillonnées, on peut savoir si l’âge de reproduction augmente ou diminue dans la population.

Enfin, combiner des prélèvements délivrant l’âge et le sexe d’un individu et des sessions de photo-identification ouvre une nouvelle fenêtre sur la vie sociale des bélugas. «Évaluer l’âge des individus dans un groupe permettrait de bonifier nos analyses sur la structure sociale des bélugas du Saint-Laurent», précise Robert Michaud.

Peut-on appliquer cette horloge épigénétique aux bélugas du Saint-Laurent ?

Bien qu’il s’agisse de la même espèce, les bélugas de Cook Inlet et ceux du Saint-Laurent constituent deux populations différentes, il se pourrait donc qu’il y ait des variations de fonctionnement entre les deux. Pour Robert Michaud, les résultats publiés par l’équipe de chercheurs est prometteuse: «Cette horloge pourrait fonctionner sur les bélugas du Saint-Laurent, mais il faudrait vérifier le calibrage, compléter la méthode, avant de pouvoir l’utiliser.»

En réalité, l’équipe de Timothy Frasier, de l’Université Saint Mary’s, à Halifax, travaille déjà sur une horloge épigénétique adaptée aux bélugas du Saint-Laurent. «Il ne s’agit pas d’un transfert direct, et nous devrions plutôt développer nos propres techniques, précise Tim Frasier. [Nous nous basons sur] des sites qui se sont avérés informatifs pour l’estimation de l’âge chez d’autres baleines, les humains et d’autres mammifères. […] Cette étude ajoute 23 nouveaux sites à notre boite à outils, ce qui est intéressant.»

On peut donc parier que les bélugas ne pourront bientôt plus mentir sur leur âge!

Actualité - 13/5/2021

Laure Marandet

Laure Marandet est rédactrice pour le GREMM depuis l'hiver 2020. Persuadée que la conservation des espèces passe par une meilleure connaissance du grand public, elle pratique avec passion la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans. Ses armes: une double formation de biologiste et de journaliste, une insatiable curiosité, un amour d'enfant pour le monde animal, et la patience nécessaire pour ciseler des textes à la fois clairs et précis.

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