Au sein du royaume animal, la plupart des espèces ajustent leurs périodes de sommeil et d’activité selon un cycle répété de 24h – appelé cycle circadien. Certaines sont actives essentiellement la nuit, elles sont dites nocturnes — on pense aux chauves-souris, aux chouettes ou aux hérissons — et d’autres sont plutôt actives le jour, elles sont dites diurnes — la plupart des primates, notamment.
« Et les baleines dans tout cela ? », nous demandent souvent les observateurs et les photographes, qui aimeraient maximiser leurs chances de les voir en activité. Eh bien, ce n’est pas si simple. Par leur milieu de vie si particulier, les mammifères marins nous montrent que la notion de sommeil et de cycle circadien est toute relative.
Des comportements variables
Pour savoir si les baleines sont plutôt diurnes ou nocturnes, on étudie leur comportement de jour et de nuit. Malheureusement, assez fréquemment, la différence d’activité n’est pas flagrante! Dans la baie de Cape Cod (Massachusetts, États-Unis), les baleines noires de l’Atlantique Nord ont ainsi été observées — grâce à une caméra à capteur thermique — en train de se nourrir en surface pendant la nuit. Un comportement qu’elles réalisent également durant la journée.
Et quand il y a une différence d’activités entre le jour et la nuit, pas de chance, les résultats varient d’une espèce à l’autre, mais aussi selon la zone géographique et la période de l’année!
« Dans la nature, à certains endroits, on a constaté que les grands dauphins étaient plus actifs (activité acoustique, alimentation, socialisation ou déplacement) tôt le matin et en fin d’après-midi, et moins actifs la nuit», détaille Oleg Lyamin, chercheur au laboratoire d’écologie comportementale de l’Université de Californie, dans une revue scientifique parue en 2008. «Dans d’autres endroits, les grands dauphins sont actifs aussi bien la nuit que le jour ou même plus actifs (surtout en ce qui concerne l’alimentation et le comportement social) pendant les périodes nocturnes.»
«Autre exemple, renchérit le chercheur. Dans une zone au large du Japon, les cachalots plongent plus profondément et nagent plus vite le jour que la nuit (ils seraient diurnes), tandis que dans une autre zone assez proche, les cachalots ne présentent aucune différence de profondeur de plongée ou de vitesse de nage [selon la période de la journée].»
Et dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent ?
Entre 1994 et 1996, une première étude menée par le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) permet de suivre avec un capteur l’activité de plusieurs rorquals communs fréquentant le Saint-Laurent. Les résultats montrent une différence notable entre l’activité qui a lieu le jour et celle qui a lieu la nuit. De jour, les rorquals communs semblent enchainer des plongées plus longues et plus profondes (entre 80 et 120m), alors que la nuit, l’activité tend à se concentrer près de la surface. Les plongées sont alors plus courtes et rarement à plus de 10m de profondeur.
En 2001, une nouvelle étude menée cette fois sur les rorquals bleus par Pêche et Océans Canada et le GREMM, obtient des résultats assez similaires. La nuit, les plongées des baleines bleues sont plus courtes et moins profondes que le jour.
Un emploi du temps dicté par l'environnement
Ce comportement serait en fait lié à celui des proies. On pense en effet que le krill, suivi par les petits poissons dont raffolent les rorquals du Saint-Laurent, effectue une migration verticale lorsque l’obscurité arrive, et se situe ainsi plus proche de la surface la nuit. Les cachalots mentionnés plus tôt adaptent probablement eux aussi leur emploi du temps aux migrations quotidiennes de leur repas dans les eaux japonaises.
« Un certain nombre d’études ont rapporté que le schéma d’activité quotidien des baleines à fanons dépend de la disponibilité et du mouvement de la proie. Mais le schéma d’activité sur 24 heures dépend également de la période de l’année (reproduction, mise bas, migration, saison d’alimentation estivale), du lieu, de la température, des conditions météorologiques, etc. », précise Oleg Lyamin.
Ainsi, chez les cétacés, on observe que les nouveau-nés se reposent rarement pendant les premières semaines de vie. Pendant cette période, pour garder le contact, limiter la prédation et conserver une température corporelle élevée, le couple mère-veau pratique une nage lente constante, qui ne dépend pas d’un cycle circadien ou de la disponibilité des proies.
On peut aussi noter que les cétacés en captivité, très sollicités la journée, adoptent généralement un rythme diurne marqué, avec beaucoup de phases de repos la nuit.
Pas sommeil !
Cette adaptabilité pourrait être facilitée par une adaptation biologique étonnante: l’absence de glande pinéale. Chez la plupart des mammifères, c’est cette glande qui, en fonction de la luminosité notamment, produit la mélatonine, l’hormone qui nous donne sommeil et nous prévient qu’il est l’heure d’aller se coucher. Or, la glande pinéale serait absente ou non fonctionnelle chez plusieurs espèces de baleines et certains gènes associés à la production ou à l’action de la mélatonine seraient inactifs.
Mais quand dorment-elles ?
Chez les baleines, la notion de sommeil est toute relative! Puisque les baleines respirent de manière consciente à la surface, elles ont développé des solutions de repos spécifiques. Les cétacés auraient ainsi plusieurs phases de sommeil par cycle de 24h, pendant lesquelles ils mettraient une moitié de leur cerveau au repos. Ils profiteraient alors des instants calmes pour se reposer en flottant à la surface, peu importe qu’il s’agisse du jour… ou de la nuit.