Tous les mammifères possèdent des poils. Cette caractéristique, à première vue, semble complètement incompatible avec l’image qu’on se fait des baleines, animaux qui font pourtant partie du groupe des mammifères marins. En effet, avez-vous déjà vu un petit rorqual poilu? Le narval partagerait-il avec la licorne d’autres attributs que sa corne? Les dauphins se laissent-ils pousser la barbe? L’équipe de Baleines en direct ne pouvait supporter de laisser ces questions en suspens.

Les vertus du poil

Chez les animaux terrestres, la fourrure a une utilité bien précise: elle sert à se protéger du froid grâce à une couche d’air isolante qui se forme entre les poils du pelage. Plusieurs mammifères marins, dont les otaries à fourrure, les loutres et les phoques, adoptent cette stratégie de thermorégulation. Seul hic, le maintien de cette couche d’air demande énormément d’entretien. Par exemple, les loutres consacrent près de 16% de leur énergie quotidienne au toilettage de leur pelage, dans le seul but de conserver son imperméabilité et ses propriétés isolantes.

Chez les cétacés, l’option «fourrure» n’a pas été retenue par l’évolution. D’abord, cette activité de nettoyage à laquelle s’adonnent les phoques est inenvisageable pour eux. En effet, afin de garder un pelage imperméable, il faut le sécher.  Or, les baleines ne sortent jamais de l’eau, et restent donc éternellement mouillées. Elles sont aussi beaucoup plus grosses; l’entretien de toute cette surface de poils demanderait énormément de temps et de mobilité. De plus, la fourrure offre une résistance à l’avancement dans l’eau. Les baleines devraient donc fournir plus d’efforts pour nager, sans oublier que leurs plongées en profondeur rendraient la couche d’air isolante de leur pelage inefficace : à mesure que le cétacé s’éloignerait de la surface, l’air se compresserait et l’épaisseur de la couche d’air diminuerait en même temps que son pouvoir isolant.

Les cétacés ont donc trouvé une autre manière de réguler leur température corporelle. Ils développent une épaisse couche de graisse qui sépare leurs organes internes de leur peau. Dans cette couche de graisse se situent des anastomoses artério-veineuses, c’est-à-dire des «ponts» reliant les artères et les veines. Ces vaisseaux sanguins permettent au sang de circuler sans passer par les capillaires de la peau lorsque celle-ci est en contact avec de l’eau trop froide. En évitant les capillaires, le sang retourne aux organes sans trop les refroidir. À l’inverse, lorsque les baleines fournissent un effort physique intense et commencent à avoir chaud, le sang contourne les «ponts» et retourne dans les capillaires pour se rafraichir. Ils sont aussi dotés d’un système d’échange de chaleur qui récupère la chaleur des organes internes et l’utilise pour réchauffer le sang en provenance de la surface de la peau. On appelle ce système le réseau admirable. Comparées à la fourrure, ces techniques sont beaucoup plus adaptées à leur mode de vie entièrement sous-marin.

La plus velue des baleines

Les poils de la fourrure ne sont pas les seuls que les mammifères possèdent. Par exemple, les moustaches de chats, appelées vibrisses, sont de longs prolongements kératinés (des poils) dont la racine est connectée à plusieurs nerfs. Elles deviennent ainsi des outils sensoriels qui captent les vibrations environnantes et les transmettent au cerveau par les nerfs. Chez les oiseaux, les vibrisses prennent la forme de plumes, tandis que chez les mammifères, elles prennent la forme de moustaches. Les poils épais à l’intérieur des narines d’un humain sont également des vibrisses.

Les baleines à fanons ne font pas exception et possèdent des vibrisses sur le menton, le museau et la mâchoire, un peu comme une petite barbe éparse. La baleine à bosse est la plus velue de toutes les baleines à fanons: au centre de chacune des petites masses sur sa tête pousse un unique poil sensoriel. Les scientifiques ne savent pas encore précisément à quoi servent ces vibrisses, mais certaines théories prétendent que les rorquals utiliseraient leurs poils pour évaluer la densité du plancton dans leur environnement. Ainsi, lorsque la densité est insuffisante, ils évitent de dépenser de l’énergie à ouvrir la bouche, engouffrer l’eau et trier finalement une maigre quantité de nourriture.

 

D’ailleurs, le terme «mysticète», qui qualifie scientifiquement le sous-groupe des baleines à fanons, a les mêmes origines grecques que le mot «moustache.» Peut-être les premiers observateurs ont-ils pris les fanons d’une baleine pour sa moustache? Ils n’auraient pas eu complètement tort : les fanons sont en fait constitués de poils pressés entre deux lames cornées, et ces poils se composent de kératine, comme nos cheveux, nos ongles… et nos moustaches! Les fanons ont à peu près la rigidité d’une brosse de nettoyage, et ils varient en longueur selon l’espèce. La baleine boréale détient le record de longueur avec des fanons dépassant quatre mètres! Parmi nos visiteurs du Saint-Laurent, c’est la baleine noirede l’Atlantique Nord qui possède les plus longs, d’une longueur d’environ 2,70 mètres. Chez toutes les espèces, les fanons servent à filtrer la nourriture que les baleines engouffrent.

La moustache du dauphin d’eau douce

Les baleines à dents, quant à elles, perdent leurs poils avant ou peu après la naissance. Il ne leur reste que les follicules pileux, des cavités dans lesquelles les poils prendraient normalement racine. Ces follicules, semblables à des fossettes, sont directement connectés à plusieurs nerfs et parviendraient donc peut-être à capter différentes informations sensorielles, comme la vitesse de nage, malgré l’absence de poil.

Seule une espèce de baleine à dent, le dauphin rose de l’Amazone, a conservé ses vibrisses sur le museau (comme une moustache!). Ces dauphins d’eau douce doivent fouiller la vase au fond des rivières pour se nourrir. Il leur est avantageux de posséder un organe sensoriel capable de détecter la présence de proies.

Ainsi, en l’absence de poils, la peau des baleines est directement exposée à l’air et à l’eau. Les scientifiques semblent croire que cette peau très mince est fragile et sensible au toucher, peut-être en partie parce qu’aucune fourrure ne la protège. Les baleines peuvent même attraper des coups de soleil!

Les baleines en questions - 9/6/2021

Frédérique Paré-Bastarache

Amoureuse du fleuve et de la nature, Frédérique a rejoint l’équipe de Baleines en direct en tant que stagiaire à l’été 2021. Elle vient tout juste de compléter un certificat en création littéraire et s’engagera à l’automne dans des études en littérature. Calme, elle utilise son sens de l’observation pour s’imprégner de ses différents habitats et pour en apprendre plus sur la faune et la flore du Québec. Elle fréquente les régions de Charlevoix et de la Haute-Côte-Nord depuis longtemps; à son avis, il s’agit du plus beau coin du monde, là où la montagne se déverse dans l’estuaire et où les souffles de baleines donnent les directions vers où aller demain.

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