Dans le cadre d’une formation, ma collègue Méduline Chailloux, technicienne à Urgences Mammifères Marins (UMM) et moi-même nous rendons, par un beau samedi matin, dans un laboratoire du campus d’agriculture de Truro en Nouvelle-Écosse. Cette formation de trois jours, destinée aux répondants terrain et élaborée par nos collègues du Marine Animal Response Society (MARS) et du Atlantic Veterinary College (AVC) a pour objectif de nous apprendre à récolter les données nécessaires (sous forme d’échantillons et d’observations) sur une carcasse pour élucider les causes de l’échouage et de la mort. Les échantillons et les observations que nous recueillons aujourd’hui sur les carcasses permettront ensuite aux vétérinaires-pathologistes qui travailleront sur ces mêmes cas de déterminer les causes de la mort de l’individu.

Pourquoi est-ce que je vous parle de l’examen macroscopique d’une carcasse de marsouin? Parce que Méduline et moi nous apprêtons à dépecer et inspecter, de l’évent jusqu’à la caudale, le corps de ce marsouin commun pour effectuer une «nécropsie partielle» de l’animal.

Cet exercice a été imaginé dans l’éventualité où la carcasse serait impossible à récupérer et que les vétérinaires ne soient pas en mesure de se déplacer pour une nécropsie sur le terrain. Même si les équipes mobiles seront désormais formées pour recueillir davantage d’informations sur les carcasses, l’expertise des vétérinaires reste irremplaçable.

2022-0674 – Marsouin commun, adulte, mâle, Îles-de-la-Madeleine

Carcasse signalée : 20 octobre 2022

Interventions réalisées:

  • Récupération : 21 octobre 2022 par Équipe satellite (Comité Zip IDLM)
  • Transport vers lieu de nécropsie : 9 février 2023
  • Nécropsie : 25 février 2023

Épaisseur du gras : 10 mm
Longueur totale : 155 cm
Circonférence à l’anus : 48 cm
Circonférence axillaire : 85 cm
Circonférence aisselles : 84 cm
Condition nutritionnelle : légèrement émacié

Lésions apparentes : présence d’une lésion de type « rake mark » sur la tête, flanc gauche, 4 lignes, 20 mm longueur, 5 mm entre chaque ligne – présence de lésions autour de l’œil

Observations spéciales : aucune dent visible dans la bouche, aucune lésion suggérant un empêtrement, aucune lésion apparente suggérant un traumatisme contondant

Le labo, ce n’est pas le terrain!

Tables hydrauliques, environnement stérile, température ambiante de 21 degrés Celsius, boyaux d’arrosages à eau chaude, éviers, treuil à carcasses, ce sont des conditions paradisiaques pour récolter des échantillons! En revanche, j’imagine les conditions réelles dans lesquelles les équipes mobiles du RQUMM auront à réaliser ces prélèvements : une plage sablonneuse de la Côte-Nord au mois d’octobre, un vent du nord en pleine face, le froid d’automne qui gèle les bouts de doigts, le sang qui se retrouve sur tout ce qu’on manipule, le sable qui se pose sur les tissus exposés de l’animal, les marées changeantes et la distance à parcourir jusqu’à la carcasse en trimbalant tout son matériel d’intervention. On est loin de ça ici!

À la recherche d’indices

Vêtus d’équipement de protection personnel, munis de couteaux bien affûtés, de pincettes et de ciseaux chirurgicaux, c’est un départ! Lors de la dissection du cétacé, nous restons à l’affût de la présence d’anormalités dans le corps. Ces anomalies guideront notre prélèvement d’échantillons. Nos yeux amateurs cherchent des tissus présentant des signes de contusions, d’hémorragies, d’œdème, de nécrose, d’hématomes, d’hémothorax ainsi que la présence de fractures, de masses anormales, de signes de malnutrition, de scolioses, de parasites, d’exsudats inhabituels (un liquide organique qui suinte au niveau d’une surface enflammée), et j’en passe…

Une fois le gras et la peau retirée d’un côté de l’animal, la cage thoracique est sectionnée et les organes internes sont exposés. C’est de toute beauté; une machine tout à fait incroyable est révélée derrière cette couche de gras épaisse. C’est Laura Bourque, vétérinaire de faune et pathologiste du Atlantic Veterinary College, qui mène l’atelier et nous décrit la morphologie impressionnante des cétacés. «Tout est fait pour faciliter les déplacements sous l’eau et minimiser les dépenses énergétiques.» La peau serrée et ferme des cétacés est «presque élastique» et permet, lors des coups de nageoire caudale, de ramener sans efforts supplémentaires la queue à sa position initiale. Laura Bourque nous fait aussi remarquer les caractéristiques du corps fusiforme de l’animal, forme qui lui permet son hydrodynamisme.

Chaque étape du processus est bien documentée et photographiée. Les images et les notes que nous prenons permettront une analyse approfondie plus tard. Chaque organe est analysé visuellement et disséqué pour révéler des lésions et/ou des signes de maladies. On procède à l’extraction systématique des organes en commençant par le système cardiaque et respiratoire : la langue, l’aorte, la trachée, l’œsophage, le cœur et les poumons. Ensuite, nous retirons la masse abdominale : intestins, estomac, foie et la rate, sans oublier les appareils uro-génitaux (les reins, les appareils sexuels et les glandes surrénales). On retire également la masse musculaire de la colonne vertébrale pour faciliter la recherche de lésions et nous libérons le cerveau de la boîte crânienne. Nous procédons finalement à la dissection méticuleuse de chaque organe pour évaluer sa condition tout en prélevant des échantillons qui seront conservés jusqu’à leur analyse en laboratoire par les vétérinaires pathologistes.

Que nous raconte une carcasse?

Bien que les vétérinaires pathologistes soient en mesure d’analyser les tissus que nous récupérons pour dresser un portrait complet de l’animal, nous sommes quand même capable d’extraire des bribes d’informations importantes lors de nos premières analyses.

Par exemple, l’absence de dents chez ce marsouin permet de conclure qu’il est plus âgé. La dissection de la trachée révèle qu’une grande quantité de mousse s’est accumulée dans la voie respiratoire et qu’une accumulation importante est également présente dans les bronches de ses poumons. « Cette mousse suggère que ce marsouin est possiblement mort noyé », nous confirme Laura Bourque. Par contre, aucune marque d’empêtrement n’a été notée lors de l’examen macroscopique. Comment s’est-il noyé? Les échantillons prélevés révèleront peut-être plus d’informations en laboratoire. En continuant notre exploration vers le système gastro-intestinal, nous sommes impressionnés par la présence d’une colonie importante de nématodes, des vers parasitiques dans l’estomac de l’animal. «Tout à fait normal», explique Dr Laura Bourque. «Ils peuvent très bien vivre avec de grande quantité de vers!» Avec les échantillons de tissus que nous recueillons, Dr Bourque sera en mesure de savoir si certains changements dans le corps de l’animal ont eu lieu antemortem (avant la mort) ou postmortem (après la mort). Conservés dans du formol ou entreposés dans un congélateur, les tissus prélevés sur la carcasse de marsouin permettront aussi à Laura Bourque et son équipe de procéder à l’histologie (étude de la structure microscopique des tissus) et ainsi confirmer les causes de mort de l’animal.

Je reste impressionné de la complexité du travail et des efforts nécessaires pour compiler des données importantes sur les mammifères marins présents dans le Saint-Laurent. Chaque intervenant dans le processus représente un maillon important dans la chaîne d’acquisition de connaissances. Dès la réception d’un signalement d’incident impliquant un mammifère marin mort, à la dérive ou en difficulté, les engrenages d’une machine bien huilée se mettent en branle. Chacun joue son rôle pour livrer des données qui alimenteront les grandes décisions de conservation de la faune maritime au Canada. Nous pouvons être fiers de faire partie de ce processus et de continuer à comprendre pour mieux protéger.

Patrick Weldon

Patrick Weldon s’est joint à l’équipe du GREMM comme superviseur UMM en 2022. Il occupe maintenant le poste de responsable au Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM). Anthropologiste de formation, c’est son fort lien avec l’océan qui l’a amené à vouloir s’impliquer dans la protection de l’écosystème marin.

 

Carnet de terrain - 22/3/2023

Collaboration Spéciale

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