Dans cette carotte de cire de 25 cm, des chercheurs ont trouvé des hormones, des contaminants et du mercure. Une nouvelle méthode d’investigation prometteuse, pour le présent, le futur et même le passé.

Le cérumen ou cire d’oreille s’accumule en couches successives dans le conduit auditif des baleines depuis leur naissance. Plus ou moins foncée, chaque couche correspond à une période de vie de six mois environ, ce qui nous permet de calculer l’âge du mammifère. Dans l’empilement des couches, on peut bien repérer une période d’alimentation intensive qui succède à celle de la migration et de la reproduction, des périodes pauvres en nourriture.

Une équipe de chercheurs états-uniens viennent de livrer les résultats d’une étude qu’ils ont conduite sur un rorqual bleu (Balaenoptera musculus) à partir de son cérumen et qui leur a permis d’identifier les polluants organiques persistants, les hormones et le mercure, qui se sont incorporés dans cette substance composée de lipides, de cire et de kératine. C’est donc un véritable profil de la vie de ce rorqual qui leur a été livré, de sa naissance jusqu’à sa mort. L’étude a été publiée au mois d’août dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).

Ce cérumen a été prélevé en 2007 sur la carcasse d’un rorqual bleu mâle d’une longueur de 21,2 m, dont l’âge a été estimé à une douzaine d’années. L’animal avait été tué par une collision avec un navire près des côtes californiennes. La cire de son oreille se présente comme une carotte de 25,4 cm de longueur, composée de 24 couches. Avec l’analyse de chaque couche, les chercheurs ont été en mesure de quantifier le taux d’hormones contenues dans son corps à divers moments de sa vie (cortisol et testostérone), ainsi qu’une quarantaine de contaminants.

Les hormones parlent de stress et de maturité sexuelle

La quantité de cortisol, l’hormone dite du stress, a augmenté progressivement depuis la naissance du rorqual, très certainement en raison des adaptations dont il a dû faire preuve: sevrage, développement, migrations, dangers, modifications environnementales, exposition à la pollution causée par les activités humaines. À l’âge de 12 ans, au moment de sa mort, le cortisol avait doublé, après un pic entre 9,5 et 10,5 ans.

C’est d’ailleurs à cet âge-là qu’un fort taux de testostérone a été également observé, indiquant que l’animal avait atteint sa maturité sexuelle. Les défis à relever pour la reproduction entraînant les individus à interagir de manière plus active avec d’autres, des femelles pour l’accouplement et des mâles pour la compétition, expliqueraient la forte montée de cortisol à cette période de vie.

Contamination

Dans les couches de ce cérumen correspondant à la période allant de la naissance du rorqual jusqu’à l’âge d’un an, des traces de 16 polluants ont été trouvées, dont des pesticides et des retardateurs de flamme utilisés à l’époque dans les activités humaines et rejetés dans l’environnement. La présence de ces contaminants établit que la mère les a transférés à son baleineau pendant sa grossesse (transfert placentaire), puis par l’allaitement.

Cette étude montre que l’analyse du cérumen des baleines constitue un nouvel outil d’investigation s’ajoutant à la traditionnelle analyse chimique de gras prélevé par biopsie sous la peau des animaux. Les quantités de contaminants se sont avérées les mêmes dans le cérumen que dans le gras de l’animal. De plus, elle livre le profil chimique et hormonal d’un cétacé pendant toute sa vie au lieu d’un instantané.

Utile aussi pour analyser le passé

Dans le contexte de l’augmentation de la pollution chimique et sonore, et du trafic maritime, à laquelle s’ajoutent les changements climatiques, les scientifiques auteurs de l’étude estiment que ce type d’investigation permettra d’améliorer leurs capacités à évaluer les impacts des activités humaines sur les mammifères marins et leurs habitats. Cette technique offre aussi l’avantage d’analyser les échantillons de cérumens récoltés dans les années 1950 et conservés par les muséums. De quoi constituer une banque de données sur plusieurs générations de baleines.

Le rorqual bleu, le plus gros animal de la planète, est une espèce en voie de disparition figurant sur la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Selon les données de l’UICN, la population globale des rorquals bleus pourrait être estimée entre 10 000 et 25 000 individus, ce qui représente 3 à 11 % de la population mondiale de 1911. La chasse commerciale a débuté en 1868 dans l’Atlantique Nord et s’est propagée dans les années 1900 dans d’autres régions quand les populations atlantiques ont sévèrement diminué.

Sources: PNAS, Le Figaro, Gentside, Alaska Dispatch, Scientific American, UICN

En savoir plus:

Actualité - 26/9/2013

Christine Gilliet

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