Il s’avère qu’ils ne sont pas de simples vestiges du bassin de leurs ancêtres terrestres quadrupèdes. S’ils servent de plateau sur lesquels les muscles manœuvrant le pénis s’attachent, on apprend qu’au fil de l’évolution, c’est la sélection sexuelle et la compétition entre mâles qui les a maintenus et transformés. Pour de gros testicules et pénis, des gros os pelviens, et de meilleures chances d’être un mâle reproducteur.
Dans le squelette d’un cétacé, baleine ou dauphin, deux os pelviens ou os du bassin se trouvent isolés dans le bas du corps sans être attachés à aucun os. Ces petits os en forme de galette effilée sont les vestiges des membres postérieurs de leurs ancêtres, quand ceux-ci marchaient sur la terre avec leurs quatre pattes, il y a quelque 54 millions d’années. Quand ils sont entrés dans l’eau pour y vivre à temps complet, ils ont, entre autres changements, perdu leurs pattes arrière, leurs pattes avant se sont transformées en nageoires, et c’est leur queue qui a assuré leur propulsion. Ces changements évolutifs se sont déroulés en une dizaine de millions d’années et la taille de leurs os pelviens a depuis beaucoup diminué.
On pensait jusqu’à maintenant que ces os allaient tranquillement disparaître au fil de l’évolution en raison de leur petite taille et parce que, somme toute, ils n’assuraient pas d’autre fonction que celle de manœuvrer le pénis à l’intérieur et à l’extérieur du corps et de contrôler son érection. Mais une récente étude vient remettre en question cette disparition annoncée: les os pelviens jouent bien leur rôle dans un contexte de sélection sexuelle et cette sélection a un impact sur leur taille et leur forme.
L’étude a été conduite par des chercheurs de l’University of South California (USC) et du Natural History Museum, Jim Dines et Matthew Dean; elle a été publiée dans la revue en ligne Evolution le 3 septembre 2014. Ce projet de recherche a été mené pendant quatre ans par Jim Dines et son équipe qui ont analysé les os pelviens de 130 individus, du point de vue de leur taille et de leur forme. Ces individus ont été choisis à travers 29 espèces de cétacés, qu’elles soient monogames (comme le dauphin franciscana ou Pontoporia blainvillei) ou pratiquantes de la promiscuité sexuelle et de la compétition par le sperme (comme notamment des rorquals, des baleines franches et des dauphins).
Garder ces os pour avoir des avantages sexuels
Les auteurs de l’étude se sont également intéressés à la taille des testicules et des pénis chez les espèces dont les individus ont un comportement de promiscuité sexuelle, c’est-à-dire lorsque la femelle peut s’accoupler avec plusieurs mâles. Dans cet environnement sexuel compétitif pour ces mâles qui tentent de la fertiliser, l’évolution leur a doté d’organes plus gros que ceux des autres espèces vivant leur sexualité avec moins de rivalité – toutes ces comparaisons entre les espèces ayant été réalisées en relation avec leur taille et masse corporelle.
Ils ont ensuite comparé ces organes avec les os pelviens, et ont observé que chez les espèces pour qui la sélection sexuelle est relativement intense, plus les testicules et les pénis sont gros, plus les os pelviens sont grands. Les os ont donc évolué en même tant que le système reproductif auquel ils sont reliés. Ces mâles compétitifs doivent avoir besoin de plus grands os pelviens pour servir d’attache aux muscles qui contrôlent leur pénis, et fournir ainsi plus de sperme aux femelles.
Les chercheurs ont aussi observé que la forme des os pelviens a changé au fur et à mesure que les espèces de cétacés ont adopté un comportement de promiscuité, ceci en dehors du changement global de leur squelette. Avec ces modifications de formes, ils pensent que les mâles peuvent se servir de leur pénis selon de nouvelles manières, peut-être pour écarter les pénis des autres mâles lors de la compétition.
Ainsi, cette étude met en évidence que la sélection sexuelle a un impact sur l’anatomie interne des cétacés, sur les éléments du corps qui contrôlent les organes génitaux des mâles, ce qui permet peut-être d’offrir un avantage pour l’évolution de l’espèce.
Et chez les bélugas du Saint-Laurent
Les résultats d’une recherche réalisée sur les bélugas et les narvals (parue le 18 septembre dernier dans la revue Marine Mammal Science et dirigée par Trish C. Kelley) rejoignent ceux de la présente étude. L’importance de la taille relative des testicules des bélugas suggère que leur mode de reproduction est de type promiscuité. Ce que confirme Robert Michaud à l’équipe de Baleines en direct, biologiste spécialisé dans l’étude des bélugas du Saint-Laurent, « un groupe de mâles à l’assaut d’une femelle, nous en avons été témoins à plusieurs reprises » alors que son confrère Jim Dines – dont l’étude n’a pas pris en charge les bélugas – mentionne que les observations des comportements reproducteurs chez les cétacés sont très rares.
Robert Michaud ajoute que « selon les prédictions qu’on peut formuler à partir des résultats de Dines et al, la taille relative des pénis et os pelviens des bélugas devrait se situer dans l’intervalle qu’on retrouve pour les espèces chez lesquelles il existe une sélection sexuelle intense ».
Sources
Sur le site de la Wiley Online Library (en anglais seulement):
Sexual selection targets cetacean pelvic
bones
Sur le site de l’University of Southern California (en anglais seulement):
Whale Sex: It’s All In The Hips
Pour en savoir plus:
Sur le site du National Geographic (en anglais seulement):
The Erotic Endurance of Whale Hips
Sur le site de la Wiley Online Library (en anglais seulement):
Sur le site de Baleines en direct: