Le monde de la conservation peut souvent être assez difficile à naviguer émotionnellement. Par la faute de l’humain, l’état de la Terre semble se détériorer à très grande vitesse et de façon irréversible. Cette narrative inquiétante s’observe également dans le monde des mammifères marins. Chez ces animaux, certaines espèces, comme la rhytine de Steller ou, plus récemment, le dauphin du Yangtze, se sont déjà éteintes. D’autres, comme les vaquitas et les baleines noires de l’Atlantique Nord pourraient s’y joindre si la tendance actuelle est maintenue.

Il importe toutefois de nuancer ce déferlement de pessimisme, car, bien qu’il ne fasse aucun doute que plusieurs espèces de mammifères marins soient menacées, plusieurs autres ont connu des rétablissements remarquables au cours des dernières décennies. Il est donc fort intéressant de se pencher plus longuement sur quelques-unes de ces histoires favorables, car, en plus de nous remplir d’espoir, il est fort probable qu’elles nous inspireront à faire face à celles qui le sont moins.

Des récits invraisemblables d’après-chasse baleinière

Il est bien difficile de traiter de la conservation des mammifères marins sans aborder les grandes chasses baleinières et les ravages qu’elles ont engendrés. En effet, si cette activité pratiquée depuis la préhistoire a connu de modestes débuts, à partir du Moyen Âge, elle adoptera une forme plus commerciale, puis elle s’intensifiera exponentiellement au fil des siècles subséquents. À son apogée, durant le 20ème siècle, l’ensemble des océans du globe sera écumé par des flottes de navires-usines armés d’une vaste gamme de technologies maximisant le nombre de captures. C’est dans cette industrie que se scelle le destin funeste de la majorité des espèces de grands cétacés.

Contre toute attente, le récit de maints de ces géants a toutefois pris une tournure bien différente. La rareté des cétacés d’intérêt commercial, l’apparition d’alternatives à l’huile de baleine, le mécontentement du public entretenu par des actions fortement médiatisées des groupes environnementaux, l’adoption de législations protégeant ces animaux, puis la mise en place d’un moratoire par la Commission Baleinière Internationale, en 1986, sont tous des éléments qui ont entrainé l’effondrement de cette industrie. Dans ce nouvel environnement presque exempt de prédation humaine, plusieurs espèces, aux effectifs lourdement diminués, ont pu entamer un lent processus de rétablissement.

Parmi ces espèces, la baleine boréale a réalisé l’exploit de passer de moins de 3000 individus, dans les années 1920, à une population mondiale qui dépassait les 25 000 têtes, en 2018. Un récit assez incroyable qui n’est pas exclusif à ces cétacés arctiques, mais partagé avec d’autres espèces, chacune continuant à cicatriser, à leur rythme, les profondes blessures engendrées par les grandes chasses baleinières.

Un miracle sur les plages du Pacifique

Au-delà des cétacés, les grandes chasses commerciales ont également affecté plusieurs autres espèces de mammifères marins. C’est le cas des éléphants de mer du nord qui ont été chassés pour leur huile, durant le 19ème siècle. Cette pression fut tellement intense que, des colonies inépuisables qu’il y avait auparavant, il était rendu impossible d’observer un seul de ces phoques à la fin du siècle. Leur rareté devint telle que l’espèce fut finalement déclarée disparue en 1884. Cependant, durant la décennie suivante, un petit groupe de survivants, composé d’environ 100 individus, fut retrouvé dans les eaux mexicaines. Malgré cette découverte, l’espèce demeurait au seuil de l’extinction.

Ce moment fatidique de l’histoire des éléphants de mer du nord est, un siècle plus tard, difficile à concevoir pour toute personne visitant la côte ouest-nord-américaine. En effet, ses rivages abondent maintenant d’énormes colonies de ces phoques qui se prélassent au soleil. Un rétablissement, qui est redevable à l’arrêt de la chasse commerciale, ainsi qu’aux différentes mesures de protection mises en place par les gouvernements mexicains et états-uniens. Cette narrative, commune à plusieurs autres espèces de pinnipèdes, démontre, à nouveau, une des facettes les plus encourageantes de la vie. Sa résilience qui permet, lorsque des conditions adéquates lui sont rendues, de générer, à partir d’une maigre poignée d’éléphants de mer du nord, une descendance qui chiffre, maintenant, au-delà des 200 000 individus.

Là où les sirènes ne disparaissent plus

Comme les cétacés et les pinnipèdes, les siréniens, des cousins aquatiques des éléphants, font aussi face à un lot de dangers engendrés par les activités humaines. Si la chasse est une menace, elle n’est pas la seule ni la plus importante. Les quatre espèces de siréniens existantes, trois lamantins et un dugong, font face à de multiples défis : les risques de collisions avec des embarcations, les pêcheries, la présence de polluants dans leurs habitats. Pour ces raisons, elles sont toutes listées comme vulnérables par l’Union internationale de conservation de la nature, et la majorité d’entre elles, voire toutes, serait en déclin. Une situation qui est bien inquiétante et qui semble laisser peu de place à l’optimisme.

Mais l’espoir est toujours possible même pour les siréniens. Malgré tous les défis avec lesquels ils doivent vivre, il y a des nouvelles encourageantes pour une des deux sous-espèces de lamantin des Caraïbes, le lamantin de Floride. Classée comme sous-espèce en voie de disparition en 1973, c’est deux décennies plus tard, en 1991, que les premiers décomptes aériens confirmeront la précarité de sa situation en estimant la population à un peu plus de 1200 individus dans l’ensemble de la Floride. Si la situation était très alarmante à l’époque, elle ne l’est plus autant de nos jours. En 2018, leur effectif se situaient aux alentours de 8810 animaux. Ce revirement rapide de situation est dû à la mise en place de restrictions pour les embarcations et le développement immobilier riverain, aux projets de protection et de restauration de leurs habitats. Plusieurs autres mesures ont permis aux lamantins de graduellement reprendre leur présence mythique le long des côtes et dans les rivières floridiennes.

La morale de l’histoire

Dans le monde actuel, il ne fait aucun doute que plusieurs espèces de mammifères marins souffrent de l’impact que les activités humaines ont sur l’environnement. Il ne faut surtout pas laisser les histoires négatives ensevelir les récits de succès qui se rédigent au fil des années et à travers des efforts d’une multitude de personnes. Au-delà des trois narratives présentées brièvement dans cet article, il y en a bien d’autres concernant les baleines grises, les loutres de mer, les otaries à fourrure de Nouvelle-Zélande ou les rorquals à bosse pour ne mentionner que quelques espèces. Bien que la trame narrative de chacune de ces histoires puisse varier, leur morale demeure sensiblement la même: Si l’action des humains peut rapidement réduire en poussière certaines espèces, elle est tout aussi capable de reconstituer des conditions dans lesquelles ces mêmes animaux peuvent guérir, puis s’épanouir, et ce, même lorsque la situation semble initialement totalement désespérée.

Pour en savoir plus

(2005) The History of Whaling and the International Whaling Commission (IWC). (Suisse) Fonds mondial pour la nature.

(2015) Hückstädt, L. Mirounga angustirostris, Northern Elephant Seal. (Royaume-Uni) The IUCN Red List of Threatened Species: 1 – 13.

(2015) Webber, M. A., Jefferson, T. A. et Pitman, R. Extinct species. (États-Unis) Marine mammals of the world 2ndedition.

(2016) Mathis, V. Florida manatee. (États-Unis) Florida Museum of Natural History.

(2017) Bonde, R. K. et Flint, M. Human interactions with sirenians (Manatees and Dugongs). (Royaume-Uni) Marine Mammal Welfare: 299 – 314.

(2018) Cook, J. G. et Reeves, R. Balaena mysticetus, Bowhead Whale. (Royaume-Uni) The IUCN Red List of Threatened Species: 1 – 16.

(2018) Davis, J. Steller’s sea cow: the first historical extinction of a marine mammal at human hand. (Royaume-Uni) Natural History Museum.

(2018) Miller, M. L. Northern Elephant Seals: A Dramatic Conservation Success. (États-Unis) The Nature Conservancy.

(2019) Pavid, K. Elephant seals: a giant survival story. (Royaume-Uni) Natural History Museum.

(2022) Florida manatee. (États-Unis) Marine Mammal Commission.

(2022) Thornton, S. et Marrero, M. E. Big Fish: A Brief History of Whaling. (États-Unis) National Geographic.

(2023) Bowhead whale. (États-Unis) National Oceanic and Atmospheric Administration Fisheries.

(2023) Rose, P. Manatees rebound in revitalized Florida river after years of dangerous decline. (États-Unis) ABC News.

Actualité - 7/6/2023

Sami Jai Wagner-Beaulieu

Sami Jai Wagner-Beaulieu contribue à l’étude des cétacés avec Réseau d’Observation des Mammifères Marins depuis 2020. Depuis son enfance, il apprécie côtoyer ces êtres aquatiques et c’est pour leur conservation qu’il a effectué des études en biologie aux quatre coins du monde. Il s’intéresse particulièrement à l’écologie des espèces peuplant les eaux laurentiennes.

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