Par Célia Baratier

Cette année, l’équipe de recherche à bord du BpJAM a revu le narval ! Il semble avoir élu résidence depuis trois ans dans le Saint-Laurent. Plus proche cousin du béluga, le narval est aussi espèce très sociale. On voit donc le narval du Saint-Laurent évoluer parmi un groupe de jeune béluga mâle. Partager la même aire de vie est propice aux rencontres, de quoi nous questionner sur l’éventualité que ces deux espèces puissent se reproduire ensemble et donner des petits viables, mais aussi plus largement si cela est possible chez les cétacés. Une revue de littérature nous a permis de recenser 62 cas possibles d’hybridation.

Chez les baleines à fanons

Vous avez peut-être entendu parler de cet individu chassé en Islande, en juillet ? Celui-ci possédait des caractéristiques physiques d’un rorqual bleu. Pourtant la chasse de cette espèce en voie de disparition est interdite. À la suite d’une analyse génétique, cet individu se trouve être un hybride entre un rorqual commun et un rorqual bleu. Il s’ajoute aux 11 hybrides rapportés entre ces deux espèces. Ceux-ci prennent généralement les caractéristiques physiques de l’un des parents, ce qui les rend difficilement identifiables à l’œil nu comme hybrides, et qui fait que le nombre d’hybrides commun-bleu pourrait être sous-évalué. Ces hybrides ne sont pas forcément fertiles, seul un des cinq individus analysés l’était. Cette femelle, était même gestante, de sa deuxième grossesse.

Deux autres individus hybrides, cette fois entre petit rorqual de l’Atlantique nord et petit rorqual de l’Antarctique ont été observés. L’un d’eux était une femelle gestante.

De plus, en 2009, un individu potentiellement hybride entre une baleine noire et une baleine boréale a été photographié dans la mer de Béring entre l’Alaska et la Russie.

Chez les baleines à dents

Delphinidés

Plusieurs cas d’hybridation ont été rapportés entre delphinidés en captivité, mais les individus issus de ces croisements sont rarement viables. Cependant, l’accouplement d’un grand dauphin et d’une fausse orque a donné naissance à Kekaimalu, une femelle de morphologie intermédiaire aux deux espèces parentes. Celle-ci a elle-même donné naissance à deux petits, dont Kawili Kai, avec un grand dauphin.

Dans la nature, les cas sont plus rares. Récemment, en aout 2017, des scientifiques ont observé et confirmé génétiquement une nouvelle sorte d’hybride, entre un dauphin d’Électre et un dauphin Steno Bredanensis au large d’Hawaï.  Un seul individu dauphin d’Électre se trouvait parmi le groupe, ils pensent donc que c’est la mère des hybrides.

Narval et béluga

Une équipe de recherche danoise a pu confirmer en 2019 qu’au moins un hybride narval-béluga a bel et bien déjà vécu. Publiée dans Scientific Reports, cette étude a même pu démontrer que l’individu mâle était né d’une femelle narval et d’un mâle béluga grâce à l’analyse de l’ADN sur le crâne.

L’histoire de cette découverte commence en 1990, alors qu’un chercheur danois remarque un crâne étrange sur le toit d’une maison d’un Inuit dans l’ouest du Groenland. La forme du crâne rappelle celle du béluga et du narval, mais pas celle de la dentition. Les dents sont plus nombreuses que celles du narval et moins nombreuses que celles du béluga, elles sont aussi plus inclinées et certaines sont torsadées, comme la canine gauche du narval. L’Inuit a conservé un crâne, mais lors de sa chasse de subsistance, il a observé deux autres individus semblables à celui à qui le crâne appartenait. Selon la description qu’il a donnée au chercheur, la baleine était grise, de taille adulte, sans nageoire dorsale, avec des pectorales similaires à celles des bélugas et une queue de la forme de celle d’un narval. Le chercheur ramène le crâne au Musée d’histoire naturelle du Danemark, à l’Université de Copenhague, où il est conservé. Puis, en 2019, les chercheurs ont enfin accès à la technologie nécessaire pour confirmer l’hypothèse d’un hybride. Ils ont aussi pu étudier à l’aider des isotopes stables la diète de l’animal, qui diverge de celles des narvals et des bélugas de sa région. Pourquoi? Possiblement à cause de son étrange dentition, il était plus apte à chercher des proies au fond de l’eau. Malgré sa différence, la baleine a pu vivre jusqu’à l’âge adulte.

Marsouins

Aussi, un fœtus retrouvé chez une femelle marsouin de Dall était le fruit d’un accouplement avec un marsouin commun.

À la croisée des espèces

Les hybrides sont un sujet fascinant et rare chez les vertébrés. La divergence génétique entre les différentes espèces de cétacés est en général comparable à celle observée entre les humains, les chimpanzés et les gorilles. Même si le partage de leur habitat peut conduire à des accouplements entre espèces différentes, cela n’aboutit pas forcément à la conception de petits viables. De plus, ceux-ci donnent rarement naissance à leur tour.

L’hybridation peut-être une source d’évolution et de nouveauté. Cependant, cela peut aussi impacter la diversité et mettre en danger les espèces déjà en voie d’extinction : si celles-ci ne se reproduisaient plus qu’avec des individus d’espèces différentes.

Pour que des hybrides soient considérés comme une nouvelle espèce, il faudrait que ceux-ci se reproduisent entre eux et pas seulement avec une des espèces parentes. Le dauphin Clymène serait en fait une espèce issue de l’hybridation entre un dauphin bleu et blanc et un dauphin à long bec.

Il est possible que le nombre d’hybrides soit sous-estimé. Autant les hybrides chez les delphinidés ont une morphologie intermédiaire entre les deux espèces, mais chez les mysticètes, les hybrides prennent plutôt l’apparence d’un des parents, ce qui rend leur observation plus complexe.

Les baleines en questions - 29/8/2018

Collaboration Spéciale

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