J’ai enfin rencontré mon premier grand rorqual de la saison! Il n’était pas trop tôt : j’ai déjà parcouru 240 milles nautiques (environ 445 km) en trois sorties. En ce jeudi 23 mai, j’ai encore fait une grande boucle entre Matane, Grosses-Roches, Pointe-des-Monts et Franquelin de 95 milles nautiques. C’est sur le retour, à 14 milles au large de Matane, que j’ai vu un grand souffle sur «mon 10 heures», comme on dit en termes de navigation, donc presque à 90° sur ma gauche. Quelle chance, puisque je l’ai vu sur mon côté à une distance d’environ 2 milles.
Par la hauteur du souffle, je savais que c’était un rorqual bleu. J’avais tellement peur qu’il échappe à ma caméra après l’avoir tant espéré. Car je n’observe pas les rorquals bleus simplement pour le plaisir! J’effectue de la photo-identification pour la Station de recherche des iles Mingan (MICS). Je fixais l’horizon en gardant un cap approximatif et en prenant comme repère un bateau qui se trouvait à peu près dans la même direction. Lorsque j’ai enfin revu le grand souffle encore loin devant, j’étais vraiment soulagé et sûr de l’approcher. Je pouvais maintenant mieux estimer sa position ainsi que sa vitesse et sa direction.
Il était en déplacement du sud-ouest vers le nord-est à 4,5 nœuds. J’ai donc pu prendre des photos du côté gauche à sa quatrième séquence respiratoire et du côté droit à sa cinquième en maintenant sa vitesse de croisière. Il sortait toutes les 8 minutes et n’était pas très généreux en nombre de respirations (3 ou 4), ce qui ne me donnait pas beaucoup de chance.
Mes premières photos étaient d’assez bonne qualité pour l’identification, mais pas suffisamment pour alimenter le catalogue du MICS. Alors que je continuais à avancer à 4,5 nœuds direction nord-est pour anticiper sa prochaine sortie, il s’est soudainement arrêté après la septième séquence pour sortir derrière moi exactement à la même position qu’à sa dernière sortie. Pourquoi s’est-il arrêté aussi brusquement? Peut-être a-t-il trouvé la bouffe qu’il cherchait? Peut-être filait-il pour m’échapper avant de constater que je n’étais pas une menace? On ne peut le savoir.
Il est resté à peu près à cette position à partir de ce moment pour ses séquences respiratoires subséquentes. J’ai pu alors réussir des photos de meilleure qualité tout en n’ayant presque pas à me déplacer. Il était devenu un bon collaborateur. Ma mission de photo-identification étant accomplie, j’ai continué à l’observer sur plusieurs sorties tout autour de l’embarcation, juste pour le plaisir de l’œil.
De retour chez moi, j’ai pu apparier cet individu comme étant B389 que j’avais rencontré la première fois le 7 septembre 2007 et que je n’avais pas revu depuis.
Cette tournée m’a aussi permis d’observer pour la première fois un petit rorqual au large de Pointe-des-Monts qui a effectué deux sauts complètement hors de l’eau (un comportement qu’on appelle «breach»). L’évènement s’est produit trop soudainement et rapidement sans que j’aie pu l’anticiper. Malheureusement, je n’ai pas pu en prendre de photos. C’est très spectaculaire de voir hors de l’eau cette «petite» baleine au profil effilé. J’ai aussi pu observer un très grand nombre de canards en migration, particulièrement des hareldes kakawis et les trois espèces de macreuses, ainsi que quelques phoques du Groenland.
La glace est maintenant cassée, comme on dit, la saison est bien amorcée.
Voici la section du tracé de mon bateau lors de l’observation de B389. Je viens donc de Franquelin au nord. Au point 1, je vois le souffle et tourne sur ma gauche. Jusqu’à 7, ce sont les séquences respiratoires. On peut voir que je continue ma course, puis doit revenir sur 8 lorsque je m’aperçois qu’il est sorti derrière mon embarcation. Jusqu’à 10 ce sont les séquences respiratoires qui me permettent de raffiner mes photos-identification et de filer droit vers Matane ensuite. © René Roy, par Google Earth