Le rétablissement de la petite communauté d’épaulards résidents du Sud – laquelle est évaluée à environ 75 individus – ne tient qu’à un fil. Selon une étude publiée par le scientifique Wasser et ses collègues, l’effondrement de certaines populations de saumon chinook, principale proie de ces épaulards, serait en partie responsable des échecs de reproduction. En effet, souffrir de faim indiquerait à l’organisme que les conditions environnementales ne sont pas propices à la survie de la progéniture.

Des hormones qui racontent une histoire

Les hormones peuvent être très révélatrices et constituer une source d’information inestimable. C’est pourquoi l’équipe de scientifiques les ont choisies pour effectuer un suivi des gestations et de l’état nutritionnel de ces cétacés, en plus d’examiner les causes potentielles de leurs échecs reproducteurs.

Étonnamment, c’est à partir des excréments des épaulards que les différents niveaux d’hormones ont été mesurés! Dans un premier temps, le but était de détecter les femelles enceintes et de suivre l’évolution de leur gestation, et ce à l’aide des quantités de progestérone et de testostérone dans la matière fécale. Chez ces épaulards, les taux de progestérone augmentent rapidement suite à la conception alors que ceux de testostérone s’élèvent significativement à partir de la moitié de la gestation.

Dans un deuxième temps, l’état nutritionnel des animaux était déterminé grâce aux taux de glucocorticoïdes et de T3, deux hormones impliquées dans le métabolisme des nutriments. La production de glucocorticoïdes s’accroit assez rapidement en cas de sous nutrition afin de maximiser l’utilisation des ressources énergétiques de l’organisme, afin que ce dernier puisse continuer à chercher de la nourriture. Contrairement aux glucocorticoïdes, la production de T3 décline en réponse à un manque prolongé de nourriture. 

Le suivi de ces taux hormonaux a permis d’établir un lien entre la condition nutritionnelle des femelles et leur succès reproducteur. En effet, celles qui ont perdu leur fœtus tard dans la gestation, c’est-à-dire à partir de la mi-gestation, souffraient de malnutrition. Les hormones analysées dans les échantillons témoignaient de la présence d’un stress régulier découlant d’un manque prolongé d’apport en nourriture. En revanche, les femelles qui devenaient mères ne montraient aucun signe de famine, tout comme celles qui subissaient une fausse couche spontanée en début de gestation.

Selon les chercheurs et chercheuses, ces différences dans la condition physique des femelles étaient déjà présentes lors de leur arrivée dans la région au printemps, et se sont maintenues durant la période de l’étude.

La suppression de la descendance

Afin qu’une population se rétablisse, un nombre suffisant de jeunes doivent parvenir à maturité sexuelle et se reproduire à leur tour. Ce phénomène est connu sous le nom de recrutement. Malheureusement, un faible taux de recrutement afflige la communauté des épaulards résidents du Sud, en partie dû à des échecs de reproduction.

Les données recueillies au cours de cette étude de 2008 à 2014 sont évocatrices. Sur un total de 35 gestations détectées, seulement 11 ont résulté en un nouveau-né qui a vu le jour et qui a survécu, alors que 24 ont échoué. Les échecs reproducteurs représentent 69 % des gestations confirmées, un chiffre qui reflète la souffrance de cette population. Qui plus est, un nombre record d’échecs de gestation a eu lieu entre 2011 et 2013, une période où certaines populations de saumon chinook étaient faiblement dénombrées. Une piètre condition physique des femelles causée par un manque de nourriture explique vraisemblablement ces observations.

La mort néonatale et périnatale, se présentant sous forme de veau mort-né, de fausse-couche spontanée ou de naissance prématurée, est parfois considérée comme un événement adaptatif. En effet, si les conditions environnementales ne sont pas favorables à la survie des petits, il peut être préférable de reporter la reproduction à un moment où les ressources seront adéquates. 

Chinook

Du printemps au début de l’automne, les épaulards résidents du Sud préfèrent s’alimenter du saumon chinook qui fraye dans les fleuves Fraser et Columbia de l’ouest canadien et américain. La remontée du saumon jusqu’au fleuve Columbia prend place au printemps – de mi-mars à la fin mai – et joue un rôle primordial pour les épaulards : elle leur permet de refaire leurs réserves d’énergie après l’hiver et de les soutenir jusqu’à la prochaine migration. Celle du fleuve Fraser, plus instable, atteint quant à elle son apogée de la mi à la fin août et devrait permettre aux baleines d’accumuler des réserves d’énergie pour l’hiver. De plus, la disponibilité et la quantité des proies entre ces migrations, et surtout pendant l’hiver, joue un rôle non négligeable dans leur alimentation. 

Toutefois, les migrations jusqu’au fleuve Fraser qui, auparavant, se produisaient au début de l’été, ont beaucoup diminué en abondance en raison de la surpêche et de la destruction de l’habitat. Et de façon générale, les périodes durant lesquelles les migrations ont lieu, de même que leur abondance, sont de plus en plus variables et imprévisibles. 

Cette étude met donc en valeur la place déterminante des populations de saumon chinook des fleuves Fraser et Columbia dans le rétablissement de cette petite communauté d’épaulards. Ainsi, les mesures de conservation de l’épaulard résident du Sud devraient sans équivoque inclure la protection et le rétablissement du saumon chinook.

Pour en savoir plus

Actualité - 30/11/2023

Véronique Genesse

Véronique est biologiste et rédactrice pour Baleines en direct. Elle a découvert son amour pour les baleines suite à d'inoubliables rencontres avec ces géants des mers et s'est intéressée à leur conservation après avoir pris connaissance des menaces auxquelles elles sont confrontées. Elle croit que l'implication du public est primordiale afin d'assurer le succès des projets de conservation.

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