La question nous a été posée, un peu à la blague : « Est-ce qu’on dit balène (façon Côte-Nord) ou balêine (façon Montréal)? » par Sébastien Bovet, journaliste à Radio-Canada. Robert Michaud, de passage à l’émission 24/60 le 10 février dernier, lui a répondu « des balêines, il y en a juste à Montréal, sous le pont Jacques-Cartier ». Mais hors du contentieux qui oppose l’est et l’ouest du Québec, y a-t-il une « bonne » manière de le prononcer?

Pour écouter l’extrait de l’entrevue, rendez-vous à 41 minutes, 27 secondes.

La petite histoire

Selon le Trésor de la langue française informatisé, le mot « baleine » fait son entrée dans les textes écrits en français aux alentours des années 1100, dans la célèbre Chanson de Roland. D’autres graphies seront trouvées par la suite : balaine, ballaynes, baulaine, balene, etc., avant de se stabiliser au cours du 18e siècle sous la forme utilisée aujourd’hui. Mais en français, la graphie d’un mot ne traduit pas nécessairement la façon dont il faut le dire.

Au Québec, deux prononciations sont connues : celle de la grande région de Montréal, mais également de tout l’ouest du Québec : (ba-lin-ne), où le son « in » est bien marqué comme dans le mot « reine », et celle de l’est du Québec (ba-lène), où le son « è » est plus marqué, comme dans le mot « peine ». Des études en linguistiques démontrent que le changement de prononciation se fait autour de la région de Trois-Rivières, comme on peut le voir dans la carte ci-contre, réalisée par les chercheurs en linguistique Marie-Hélène Côté, Hugo Saint-Amant Lamy et Peter Milne. Pourquoi ? Une hypothèse provient de l’héritage des colons, qui, en s’établissant ici, ont conservé la prononciation de leur région d’origine. Par contre, les données manquent sur la prononciation du mot « baleine » en Europe.

Donc, comment le dire ?

Si plus de la moitié de la population du Québec prononce le mot d’une telle façon, est-ce la bonne ? La réponse est plus complexe.

Certaines instances normalisent la langue en prescrivant une forme, dont la plupart des dictionnaires. Au Québec, l’Office québécois de la langue française (OQLF) joue un rôle prescriptif, c’est-à-dire qu’il impose une norme. Au sujet de la prononciation du mot, voici ce qu’il nous dit: «Baleine se prononce [balEn] (ba-lène) [comme dans peine] et non [balE:n] (ba-lin-ne) [comme dans reine]. Ce mot vient du latin ballaena (on trouve aussi les formes balaena et balena). […] C’est par assimilation, c’est-à-dire sous l’influence de la consonne nasale [n] (n), que la voyelle [E] (è) est parfois à tort prononcée [E :] (in) dans ce mot, ce qui donne alors [balE:n] (ba-lin-ne)».

Devant la prescription de l’OQLF, la professeure de linguistique générale à l’Université de Lausanne et professeure titulaire à l’Université Laval Marie-Hélène Côté nuance : « Le fait qu’on dise “reine”, mais “peine” indique que devant la consonne [n], on trouve les deux [façons de prononcer les] voyelles. C’est l’usage qui fait la vérité. Si des millions de Québécois disent “baleine” comme “reine”, eh bien qu’il en soit ainsi ! D’autres disent “baleine” comme “peine”, soit ! Ce genre de variation ne crée aucun problème [de compréhension] et il n’y a pas de raison non plus de penser qu’un mot ne doit avoir qu’une seule “bonne” prononciation », explique-t-elle en entrevue à Baleines en direct.

Hors de l’OQLF, deux dictionnaires ont été créés pour mieux représenter la variété linguistique québécoise du français : Antidote et Usito. Si on regarde la prononciation du mot baleine dans Antidote, les deux prononciations sont présentées, mais en spécifiant que la prononciation (ba-lin-ne) est valable seulement au Québec (et sans préciser qu’on ne trouve que cette prononciation que dans l’ouest de la province).

Du côté d’Usito, seule la prononciation de type (ba-lè-ne) est présentée. Interrogé à ce sujet, le directeur général d’Usito, Charles Vincent, répond que la prononciation présentée correspond au français québécois standard, soit « celle qu’on peut observer dans les manifestations officielles de la parole publique, essentiellement dans les émissions d’information et d’affaires publiques des réseaux publics (non commerciaux) de radio et de télévision. […] Cette référence qu’on appelle communément et traditionnellement “le style Radio-Canada” est en fait beaucoup plus largement répandue dans les faits maintenant ».

Alors, quelle est la bonne prononciation ? Une façon est promue, l’autre est tout de même utilisée par une large population. Balène ou balêine, c’est un peu une question de philosophie et d’héritage!

Les baleines en questions - 3/3/2017

Marie-Ève Muller

Marie-Ève Muller s’occupe des communications du GREMM depuis 2017 et est porte-parole du Réseau québécois d'urgences pour les mammifères marins (RQUMM). Comme rédactrice en chef de Baleines en direct, elle dévore les recherches et s’abreuve aux récits des scientifiques, des observateurs et observatrices. Issue du milieu de la littérature et du journalisme, Marie-Ève cherche à mettre en mots et en images la fragile réalité des cétacés.

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