Lors d’une entrevue avec Pierre Béland, directeur scientifique à l’Institut national d’écotoxicologie du Saint-Laurent (INESL), Baleines en direct lui a posé la question suivante: Devrait-on garder des baleines en captivité?

P.B.: C’est une question délicate. Si on faisait un sondage auprès des scientifiques qui étudient les baleines, on verrait sûrement que les avis sont très partagés.Voici une liste des pour et des contre qu’on pourrait entendre.

Pour

+ Les scientifiques peuvent obtenir des connaissances qui pourront être utiles plus tard, pour l’espèce en question ou pour une autre espèce. Par exemple, les échantillons de sang obtenus des bélugas du Chicago Aquarium ont permis de cultiver des cellules immunitaires en laboratoire et de préparer des tests applicables aux bélugas du Saint-Laurent.

+ Peut-être serons-nous plus tard à même d’utiliser des animaux nés en captivité pour repeupler certaines régions. (Ce besoin ne s’est pas encore fait sentir pour les baleines, mais c’est exactement ce qui s’est passé pour certaines espèces comme la grue blanche et le condor de Californie.)

+ Les baleines gardées en captivité sont peut-être les seules baleines que plusieurs citadins auront la chance de voir. Si on veut que les gens aiment les baleines et les protègent, le moyen le plus sûr est qu’ils voient une baleines au moins une fois dans leur vie.

+ Les aquariums ont des programmes éducatifs qui sensibilisent les gens, et surtout les enfants, à l’importance de conserver l’environnement.

+ Une partie des profits réalisés par les aquariums est versée pour la recherche et les projets de conservations sur les populations sauvages.

Contre

– Le taux de mortalité des baleines en captivité est assez élevé, souvent plus élevé que chez les populations sauvages. Ainsi, dans un sens, mettre une baleine en captivité c’est la forcer à une mort lente.

– Les connaissances acquises en étudiant les animaux en captivité peuvent aussi bien être obtenues en capturant et en relâchant par la suite des animaux sauvages. L’autre option, c’est d’utiliser l’argent des programmes de recherche sur les animaux en captivité pour des projets équivalents sur des animaux sauvages.

– Les baleines en captivité sont en prison. On ne peut jamais leur fournir un aquarium dont les conditions s’approchent de leur milieu naturel, vaste et diversifié. Il est relativement facile de concevoir une cage pour de petits animaux, comme les lapins et les rongeurs, mais c’est plus difficile pour de gros animaux comme les orignaux. C’est encore un plus grand défi pour les baleines, qui voyagent sur des dizaines voire des centaines ou des milliers de kilomètres et plongent à des profondeurs de plusieurs centaines de mètres.

– La plupart des cétacés qui sont assez petits pour être gardés en captivité vivent en groupe. Les aquariums n’offrent que rarement, sinon jamais, assez d’espace et de financement pour faire venir toute une famille ou un groupe social de baleines.

– Les baleines à dents, qui vocalisent beaucoup en nature , deviennent souvent muettes en captivité. On croit que c’est dû à l’absence de partenaires sociaux, à l’ennui et aux murs de béton de leur enclos, qui réfléchissent les sons.

– Même quand les aquariums réalisent un profit, les baleines gardées en captivité coûtent très cher : des millions de dollars pour les obtenir, plusieurs millions encore pour construire les installations et pour les entretenir. Ces mêmes sommes d’argent pourraient plutôt être utilisées à des fins de recherche et de conservation, et pour emmener les citadins voir les baleines et leur milieu naturel.

– Les spectacles que les baleines donnent en captivité ne sont pas «naturels». Les spectateurs conçoivent ainsi une idée fausse des baleines et de leur véritable bien-être.

En conclusion

En bout de ligne, on prend souvent une décision en considérant des arguments rationnels, ainsi que des dispositions éthiques et personnelles qui se rapportent à de plus grandes questions. Personnellement, je crois que l’être humain a tendance à juger de tout selon sa propre échelle de valeurs. Qui sommes-nous pour dire quand et comment les animaux sont le mieux? Je suis convaincu qu’à notre époque, il y a des choses plus urgentes que d’amuser les gens avec des acrobaties de baleines. Nous avons une responsabilité d’importance primordiale : prendre soin des plus faibles que nous. Et ceci inclut toutes les espèces que nous avons le pouvoir, si nous le voulons, d’éliminer ou de maltraiter. Ceci représente un très grand nombre d’espèces, incluant les baleines. Ces espèces devrait demeurer là où elles ont évolué, et nous devrions nous assurer que ces habitats soient protégés afin qu’elles puissent continuer d’y vivre. Devrions-nous garder des baleines en captivité? Peut-être seulement quand il y a un danger qu’un animal ne meure ou qu’une population ou une espèce ne disparaisse. Et même dans ces situations, la mort est un événement naturel, et la raison principale des problèmes que ces espèces vivent en ce moment est que nous détruisons leur habitat naturel. Voilà donc où nous devrions concentrer nos énergies et notre argent : protéger et réhabiliter les habitats naturels.

Les baleines en questions - 10/1/2012

Équipe du GREMM

Dirigée par Robert Michaud, directeur scientifique, l’équipe de recherche du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) étudie en mer les bélugas du Saint-Laurent et les grands rorquals (rorqual à bosse, rorqual bleu et rorqual commun). Le Bleuvet et le BpJAM quittent chaque matin le port de Tadoussac pour récolter de précieuses informations sur la vie des baleines de l’estuaire du Saint-Laurent.

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