En été, durant plusieurs semaines ou quelques mois, les bélugas de diverses régions circumpolaires tendent à se concentrer dans les estuaires. Pourquoi? Ceci reste en grande partie un mystère. Une étude publiée ce mois-ci dans la revue scientifique PLoS ONE nous en apprend un peu plus sur l’utilisation de l’estuaire du fleuve Nelson, au sud-ouest de la baie d’Hudson, par les bélugas.

Plusieurs milliers de bélugas passent l’été dans l’estuaire du fleuve Nelson, au Manitoba. Il s’y trouve une des plus fortes concentrations de bélugas dans le monde. Ces bélugas font partie de la population de l’ouest de la baie d’Hudson, désignée « préoccupante » par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) en mai 2004. Selon le COSEPAC, la population semble relativement abondante, mais elle est possiblement menacée par le transport maritime et les barrages hydroélectriques. La construction de barrages hydroélectriques sur le fleuve Nelson, qui a débuté à la fin des années 1950, a modifié les apports en eau douce dans l’estuaire à différents moments de l’année. L’eau fluviale est maintenant stockée dans de grands réservoirs, diminuant l’apport en eau douce dans l’estuaire au printemps et augmentant l’apport en eau douce durant l’hiver. Les effets environnementaux de ces modifications saisonnières, y compris sur l’utilisation de l’estuaire par les bélugas, ne sont pas encore bien connus.

Pour en savoir plus sur l’utilisation de l’estuaire du fleuve Nelson par les bélugas et les effets des développements hydroélectriques, les chercheurs ont étudié les mouvements des bélugas durant les mois de juillet et aout, entre 2002 et 2005. Ils ont suivi treize bélugas grâce à des émetteurs satellites et ont analysé les résultats de relevés aériens. Ils ont ainsi pu déterminer que les bélugas quittent l’estuaire au début du mois d’aout pour entreprendre leur migration. Cette observation est surprenante, car elle correspond à ce qui avait été observé par des chercheurs grâce à des relevés aériens dans les années 1940 à 1960. Cela signifie que, malgré les changements environnementaux ayant eu lieu au cours des dernières décennies — y compris la formation plus tardive des glaces, le réchauffement des océans et la modification saisonnière des apports en eau douce — les bélugas n’ont pas modifié le moment auquel ils quittent l’estuaire à la fin de l’été. Les bélugas démontrent une grande fidélité quant à leur aire d’estivage, revenant habituellement chaque été dans le même estuaire, comme leur a appris leur mère. Démontreraient-ils également une fidélité quant à la période d’utilisation de l’estuaire? Cette fidélité rend-elle les bélugas plus vulnérables aux changements environnementaux dans ces zones? Possiblement, estiment les chercheurs.

L’étude porte aussi sur l’influence de l’apport en eau douce dans l’estuaire du fleuve Nelson, qui varie selon les activités hydroélectriques, sur la distribution estivale des bélugas. Les étés où les apports en eau douce sont élevés, les bélugas se concentrent plus loin de l’embouchure du fleuve, dans des eaux légèrement plus profondes, et peut-être plus salées, mais toujours dans l’estuaire proprement dit. En comparaison, les étés où les apports en eau douce sont plus faibles, les bélugas se concentrent plus près de l’embouchure du fleuve, tout en restant relativement proches du rivage.

Bien que les chercheurs n’aient pas mesuré la salinité de l’eau dans le cadre de cette étude, une explication possible de cette variation de la distribution des bélugas est que ceux-ci se concentrent près de la zone de mélange d’eau douce et d’eau salée, qui varie en fonction du volume de déversement d’eau douce. Pourquoi? Quels bénéfices tirent-ils en se tenant près de cette zone? Ceci nous ramène à cette grande question : pourquoi les bélugas fréquentent-ils les estuaires, c’est-à-dire ces zones à l’embouchure des fleuves où l’effet de la mer ou de l’océan (eau salée ou saumâtre et présence de la marée) est perceptible?

Les estuaires offrent-ils aux bélugas de la nourriture, de l’eau plus chaude, des lieux adéquats pour muer, donner naissance, élever leurs jeunes ou se protéger des prédateurs? Les hypothèses sont nombreuses et les raisons varient probablement selon les régions et les populations. Selon les chercheurs de cette étude, les bélugas qui passent l’été dans l’estuaire du fleuve Nelson pourraient se concentrer près de la zone de mélange d’eau douce et d’eau salée afin de réguler la vitesse de renouvèlement de leur épiderme. Les bélugas, contrairement aux autres cétacés, semblent subir une mue saisonnière, qui coïncide avec leur présence dans l’estuaire. Les températures plus élevées de l’eau fluviale, ainsi que le fond rugueux de l’estuaire, favoriseraient la mue, et pourraient expliquer la fidélité des bélugas à certains sites.

D’autres études seront nécessaires pour mieux comprendre pourquoi les bélugas reviennent chaque été dans certains secteurs des estuaires. Même la population des bélugas du Saint-Laurent, qui réside toute l’année dans l’estuaire du Saint-Laurent, démontre une fidélité à certains sites durant la période estivale — comme la baie Sainte-Marguerite dans le fiord du Saguenay. Aujourd’hui encore, on ignore la fonction de cette baie, qui est vraisemblablement très importante dans la vie des bélugas. Cet été, les chercheurs du GREMM ont installé une tour d’observation dans cette baie afin d’épier les bélugas sans les déranger et peut-être élucider le mystère qui entoure ce site…

Une meilleure compréhension des rôles que jouent ces estuaires et ces sites particuliers dans la vie des bélugas est nécessaire pour être en mesure d’évaluer les effets des changements environnementaux et des projets de développement sur les bélugas.

Actualité - 4/9/2017

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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