Les fanons — ces lames cornées qui garnissent la mâchoire supérieure de certaines baleines, les mysticètes — se ressemblent-ils tous ? Eh bien non ! La dimension, la forme et le mode d’utilisation des fanons varient énormément entre différents groupes de baleines, dévoile une étude publiée dans la revue Biological Journal of the Linnean Society.
Les fanons agissent comme des filtres, permettant aux mysticètes de retenir leurs proies dans leur bouche et d’expulser l’eau de mer. Cependant, les mysticètes ne « filtrent » pas tous de la même façon.
Dans cette étude, les chercheurs ont analysé la morphologie fonctionnelle et l’hydrodynamisme des fanons chez dix espèces de baleines. Les résultats démontrent une nette démarcation entre les fanons des balénidés (une famille de baleines comprenant les baleines franches et la baleine boréale) et ceux des rorquals. Les fanons des balénidés sont plus allongés, plus minces, plus droits et ont de quatre à cinq fois la superficie de ceux des rorquals de taille similaire. Pourquoi de telles différences ? Selon les chercheurs, le type et la taille des proies chassées, ainsi que la biomécanique de la filtration et la force de trainée (la force qui s’oppose au mouvement de la baleine dans l’eau) pourraient expliquer ces différences.
« Les balénidés ouvrent leur bouche puis passent leur corps lentement à travers le groupe de copépodes [ces tout petits crustacés qui forment la base du plancton] et la filtration se fait au même moment, en continu », explique Jean Potvin, un physicien passionné par les baleines et un des auteurs de l’étude, en entrevue avec l’équipe de Baleines en direct.
Les rorquals mangent des proies plus grosses et plus mobiles : du krill et des petits poissons. « Lorsqu’ils localisent un banc de krill ou de petits poissons, ils accélèrent, ouvrent la bouche, engouffrent, puis ferment la bouche et utilisent les muscles puissants de leur ventre pour pousser l’eau vers l’extérieur à travers leurs fanons », poursuit M. Potvin. Grâce à leurs sillons ventraux, capables de se distendre comme un accordéon, les rorquals peuvent engouffrer un volume d’eau qui dépasse le volume de leur corps. Lors de la filtration, une pression énorme est générée et le taux de filtration (la vitesse de l’eau passant à travers les fanons) est environ 10 fois plus élevé que chez les balénidés.
« Chez les rorquals, les fanons sont courts à cause de leur grande vitesse de mouvement durant la capture de leurs proies. Des fanons courts minimisent la force de trainée et l’énergie dépensée et sont en mesure de résister à une pression énorme sans trop de dommages. Les balénidés, d’autre part, capturent leurs proies très lentement, de sorte qu’elles peuvent exposer des fanons plus longs sans générer une grande force de trainée », explique le physicien.
Deux des espèces étudiées — le rorqual boréal et la baleine pygmée — ont des fanons de dimension intermédiaire qui n’entrent pas dans une des catégories décrites précédemment. Ces deux espèces auraient une alimentation moins spécialisée (comprenant de petites et de grosses proies), leur permettant de s’adapter à différents écosystèmes et à différentes situations, mais limitant possiblement leur efficacité.
Le prochain défi des chercheurs sera de comparer l’énergie utilisée par différentes espèces de baleines pour se nourrir, et d’élucider le lien entre la grosseur de leur corps et l’efficacité énergétique de leur mode d’alimentation. De plus, les chercheurs compareront les dépenses énergétiques de la baleine boréale et du rorqual bleu — deux espèces qui se nourrissent exclusivement de plancton — afin de comprendre pourquoi ce dernier est à peu près deux fois plus long.