Deux carcasses sont trouvées côte à côte sur la plage de Pointe-aux-Loups, le 13 octobre. À priori, les observateurs croient avoir trouver deux dauphins, un adulte et un jeune. Il s’agit plutôt de deux représentants des Mésoplodon, ou baleines à bec. Depuis près d’une semaine, les photos circulent sous les yeux de chercheurs d’ici et d’ailleurs : les doutes s’estompent au fil des jours, il s’agirait probablement de baleines à bec de True. Cette baleine fait partie des grands mammifères les plus méconnus du globe.
Des espèces de baleines à bec apparentées
Le Saint-Laurent n’est habituellement pas visité par les baleines à bec. Or, quelques mentions ont été enregistrées dans les dernières décennies : des baleines à bec de l’Atlantique Nord, un adulte et son jeune, ont été trouvées échouées sur les battures de Montmagny en 1994, puis des baleines à bec de Sowerby ont été trouvées mortes à différents endroits : dans le Parc Forillon en 2006, à l’Île aux Pommes en 2013 et à Escuminac en 2016.
Ces espèces sont reconnaissables soit à leur crâne proéminent — pour la baleine à bec de l’Atlantique Nord — ou à des dents saillantes rappelant celles d’un sanglier chez la baleine à bec de Sowerby. Les deux baleines étendues sur la plage des Îles-de-la-Madeleine n’avaient ni l’une ni l’autre de ces caractéristiques.
En plus de la baleine à bec de Sowerby, trois autres espèces de baleines à bec fréquentent les eaux de l’Atlantique nord-ouest : la baleine à bec de Gervais, la baleine à bec de Blainville et la baleine à bec de True. La différenciation entre les espèces est un défi : il faut observer la longueur du rostre, la forme, la taille, la position des dents et, ultimement, la génétique.
L’adulte trouvé sur la plage de Pointe-aux-Loups était dans un très bon état de conservation. Après une analyse attentive des photos, les chercheurs canadiens croient fermement qu’il pourrait s’agir de baleines à bec True. Selon la littérature et les observations faites préalablement, on la reconnait à son melon (front) arrondi, son bec relativement court et son patron de coloration qui se compose d’un gris moyen sur le dos et d’un gris clair sur la face ventrale. Une zone sombre est aussi visible autour de l’œil. La longueur à la naissance est de 2,3 m et la longueur maximale enregistrée chez l’adulte est de 5,3 m.
Carcasses récupérées
Après avoir été documentées et photographiées, les deux carcasses ont été dépecées par l’artiste primé Claude Bourque des Îles-de-la-Madeleine, qui envisage d’utiliser les ossements de ces rares spécimens pour ses projets artistiques.
Il a aussi collaboré, avec Pêches et Océans Canada, à l’échantillonnage de certaines parties anatomiques de ces baleines afin de contribuer aux projets de recherches de l’Université de Dalhousie.
Une fois les os du crâne bien dégagés de la chaire, une analyse plus minutieuse sera effectuée par les scientifiques. À ce jour, aucune dent n’a été trouvée dans la gencive, ce qui laisse les chercheurs dans un certain mystère. Les analyses génétiques ultérieures pourront aussi confirmer hors de tout doute l’hypothèse soutenue par la communauté scientifique, bien animée par cette trouvaille inusitée.
La baleine à bec de True : la plus mystérieuse de toutes
Il y a au moins 22 espèces de baleines à bec dans la famille des Ziphiidés, dont plusieurs espèces n’ont été décrites que récemment. Ces baleines vivent loin des côtes, restent rarement en surface et plongent profondément — elles détiennent des records de plongée de plus de deux heures, pour des profondeurs pouvant atteindre les 3 000 m — pour s’alimenter sur leurs proies préférentielles, notamment les calmars et les poissons de fonds.
La baleine à bec de True serait la plus méconnue et la plus mystérieuse de sa grande famille. Longtemps considérée comme une espèce propre à l’hémisphère nord, aujourd’hui, on connait diverses populations dans l’hémisphère austral.
« La baleine à bec de True, aussi appelée “la merveilleuse baleine à bec”, a été décrite pour la première fois en 1913 par Frederick True à partir d’une femelle adulte échouée en Caroline du Nord. La première observation d’un spécimen vivant a eu lieu 82 ans plus tard, en 1995», explique Jack Lawson, chercheur scientifique à la section des mammifères marins chez Pêches et Océans Canada, à Terre-Neuve.
Dr Lawson a procédé à une nécropsie d’une femelle adulte qui s’était échouée à Terre-Neuve en février 2015. À sa connaissance, jamais une baleine à bec de True n’avait été aperçue au nord de la Nouvelle-Écosse.
C’est en mars 2017 que des chercheurs de l’Université de St Andrews en Écosse ont fait la manchette avec un vidéo montrant deux baleines à bec de True, nageant dans les eaux des Açores. Les médias titraient leurs articles « La baleine à bec de True, l’une des plus rares au monde, filmée pour la première fois dans l’océan ».
Vidéo diffusée par la revue PeerJ (Crédit: Roland Edler)