De la nécropsie au microscope

La semaine dernière, nous suivions le parcours d’un béluga femelle de sa dérive au large jusqu’à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. Cette semaine, découvrez la nécropsie d’un béluga mâle, trouvé le 10 septembre dernier.

La nécropsie d’un béluga n’est pas chose banale, et cet examen exhaustif de la baleine est convoité; plus de 150 étudiants patientent sur une liste d’attente pour participer à l’étude approfondie des organes et des tissus d’un représentant de cette population en danger de disparition. Devant la baleine inerte qui déborde de la table en inox, les apprentis vétérinaires sont fascinés. Dans quelques heures, il n’en restera qu’un squelette avec des organes exposés. L’objectif : apporter un nouveau témoin de l’état de santé de la population de bélugas du Saint-Laurent et découvrir de quoi cet animal, visiblement un vieux spécimen à en juger par sa taille et ses dents usées, est mort.

La prise de mesures et de photos externes

La carcasse de béluga est l’une des plus grosses que le réseau de récupération de carcasses instauré en 1982 ait étudiées. Le béluga fait 4,75m de long pour un poids de 1,3 t. À sa sortie du congélateur où il avait été entreposé pour la nuit, la bête, suspendue par la queue, touchait par terre, une première pour le vétérinaire Stéphane Lair qui a commencé à étudier les carcasses de bélugas dans les années 1980.

Après s’être assuré de respecter les nombreuses règles d’hygiène dans la salle et d’éviter toute contamination possible des vêtements et accessoires, il faut mesurer la baleine : longueur totale, demi-circonférences du pédoncule, du ventre, du cou, longueur de la fente génitale, épaisseur de gras. Ces données systématisées servent à établir entre autres si l’animal est en bon état de chair.

Le candidat ici est bien rond, entre autres sous l’effet des gaz de putréfaction, mais son pannicule graisseux de 10 cm laisse croire qu’il n’est pas mort des suites d’une longue maladie, mais probablement d’un trauma aigu. Un animal malade ou vieux, qui aurait cessé de s’alimenter depuis un bon moment, aurait puisé dans ses réserves graisseuses et aurait été émacié, ce qui n’est pas du tout le cas de notre béluga.

Des photos de la crête dorsale sont aussi prises afin de les soumettre au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM). L’équipe du GREMM veille à apparier les photos des carcasses avec celles des vivants dans le catalogue de photo-identification. Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, aurait espéré que le béluga ait des marques ou cicatrices évidentes afin de pouvoir ajouter un chapitre de vie à un animal qu’il connait bien, mais le docteur Lair ne remarque que de subtiles encoches dans la crête dorsale. À suivre.

De béluga à échantillons

Les étudiants et les vétérinaires s’activent telles des petites abeilles; on enlève d’abord des quartiers de gras, en prenant soin de ne pas abimer les organes rapidement exposés. Stéphane Lair profite de ce moment pour enseigner quelques rudiments de la biologie animale. « Saviez-vous que l’éléphant est le seul autre mammifère qui a des testicules internes, comme les baleines? » lance-t-il dans la grande pièce éclairée, sous une odeur putride, à la limite du supportable, diraient certains.

Tout va vite et rondement : le sternum est dégagé à l’aide du treuil électrique, le crâne est scié en deux pour exposer le cerveau, les vétérinaires s’affairent à dérouler les intestins, à dégager et étendre les poumons. Le contenu stomacal est rapidement empaqueté dans une énorme glacière qui sera acheminée à l’équipe de Véronique Lesage à l’Institut Maurice-Lamontagne pour des projets d’études. Des dizaines de pots, contenant soit la glande thyroïde, des tissus de cœur, de poumons, de foie, sont dument identifiés et rangés par Viviane Casaubon, technicienne en biologie et préposée à la salle de nécropsie du Centre québécois sur la santé des animaux sauvages (CQSAS). En moins de deux heures à peine, toute trace de la baleine est effacée, et il ne reste plus que des échantillons, quelques morceaux de peau et du liquide sur le plancher de la salle de nécropsie.

Spécialiste en pathologie animale

Le vétérinaire Stéphane Lair est expérimenté : en sondant l’animal, entre diverses tâches mécanique et technique, il n’a repéré aucune lésion évidente. À ce stade, la cause de mortalité de ce béluga lui est inconnue. Cela demeure d’ailleurs le cas de 30% des bélugas étudiés.

Intéressé par les projets qui impliquent un contact direct avec la faune, Stéphane Lair est devenu le spécialiste des pathologies de la faune sauvage au Québec. C’est avec le docteur Daniel Martineau qu’il a fait ses premiers pas. « À l’époque, on commençait la nécropsie à 22 h et on terminait à 4 h du matin, puis on allait manger de la pizza au resto 24 h, fatigués », se souvient-il. Depuis leurs débuts, ce sont 271 nécropsies de bélugas qui ont été réalisées, sur un total d’environ 560 carcasses trouvées échouées.

Même si toutes les carcasses ne révèlent pas d’indices clairs sur les causes de mortalités, comme c’est le cas de ce mâle transformé en échantillons, le vétérinaire Lair arrive à avoir un portrait bien réel de l’état de santé de la population de béluga, des menaces qui pèsent sur elle et des enjeux auxquels les canaris des mers font face.

Ne manquez pas, la semaine prochaine, la suite de cet article (3/3) – Des échantillons aux grandes questions

Pour lire sur la première étape du trajet, de la mer au labo : De la mer à la salle de nécropsie (1 de 3)

Pour en savoir plus, visionnez le vidéo d’une nécropsie d’un béluga, réalisée à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal

Urgences Mammifères Marins - 2/10/2017

Josiane Cabana

Josiane Cabana a été directrice du Centre d’appels du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins de 2011 à 2018. Entre les cas de mammifères marins morts ou en difficulté auxquels elle répond, elle aime prendre le temps de sensibiliser les riverains aux menaces qui pèsent sur ces animaux. Biologiste de formation, elle s’implique au sein du GREMM depuis plus de 15 ans, toujours avec la même passion!

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