Un individu d’une des rares espèces de dauphins d’eau douce, le dauphin baiji (Lipotes vexillifer), semble avoir été vu par la Fondation chinoise pour la conservation de la biodiversité et le développement vert (CBCGDF), 12 ans après que l’espèce a été classée « fonctionnellement disparue ». Les chercheurs locaux ont espoir que le baiji ne soit donc pas totalement disparu et qu’il pourra se rétablir grâce à une amélioration de la qualité de l’eau dans le fleuve Yangzi Jiang. Cet espoir est-il réaliste?
Le baiji est considéré par les pêcheurs locaux et les bateliers comme la « Déesse du Yangzi Jiang » et comme un symbole de paix et de prospérité. Selon la légende chinoise, une belle jeune fille vivait avec son beau-père sur les rives du fleuve. Un jour, il l’amena en bateau, avec l’intention de la vendre au marché. Sur le fleuve, il essaya de la violer, mais elle se libéra en plongeant dans l’eau. Une grosse tempête s’ensuivit et fit couler le bateau. Après la tempête, les gens ont vu nager un magnifique dauphin baiji — l’incarnation de la jeune fille.
La population de baijis, estimée à 6 000 individus dans les années 1950, a diminué rapidement au cours des cinq décennies suivantes, à mesure que la Chine s’est industrialisée et que les activités — la pêche, le transport et l’hydroélectricité — se sont intensifiées sur le fleuve. Il ne restait plus que quelques centaines d’individus en 1970, 400 dans les années 1980, puis 13 en 1997.
Un relevé visuel et acoustique intensif de six semaines, réalisé en 2006, couvrant toute l’aire de répartition historique du baiji dans le chenal principal du Yangzi Jiang, n’a trouvé aucune preuve de survie de l’espèce. L’équipe de chercheurs internationaux, provenant en partie de la National Oceanic and Atmospheric Agency (NOAA) et de l’Agence de recherche halieutique du Japon, conclut, dans un rapport d’expédition publié le 7 aout 2007 dans la revue Biology Letters, que : « le baiji est maintenant susceptible d’être disparu, probablement en raison de prises accidentelles non durables dans les pêcheries locales ». Ceci représente la première disparition mondiale d’un grand vertébré depuis plus de 50 ans, la quatrième disparition d’une famille entière de mammifères depuis l’an 1500 et la première espèce de cétacés à être menacée de disparition par les activités humaines.
Selon la Commission pour la survie des espèces (Species Survival Commission, SSC) de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), « la disparition du baiji fut une tragédie nationale pour la Chine et une honte internationale. Une réaction plus précoce et plus dynamique au déclin de l’espèce, à la fois en Chine et au sein de la communauté internationale, aurait pu maintenir en vie certains individus. »
Une réaction plus précoce et plus dynamique au déclin de l’espèce, à la fois en Chine et au sein de la communauté internationale, aurait pu maintenir en vie certains individus. – Union internationale pour la conservation de la nature UICN
En aout 2007, un Chinois filme un grand animal blanc, possiblement un baiji, dans le Yangzi Jiang. Entre 2016 et 2018, des étudiants bénévoles et des pêcheurs mentionnent avoir observé des baijis près de Tongling. En mai 2018, le CBCGBF dévoile des photos d’un animal que les chercheurs internationaux identifient comme étant un baiji. Un ou des baijis semblent donc encore nager dans le plus grand fleuve d’Asie.
L’UICN a décidé, en décembre 2017, de maintenir le statut du baiji comme « en danger critique de disparition (possiblement éteint) » plutôt que de le remplacer par « disparu », en attendant les résultats du prochain relevé acoustique et visuel, prévu au cours des prochains mois.
« Pour sauver les dauphins baiji qui sont possiblement encore en vie, des mesures d’urgence doivent être prises avec les meilleures ressources, talents et technologies du pays », déclare Hua Yuanyu, l’un des premiers chercheurs à avoir étudié l’espèce dans les années 80, en entrevue avec le journal chinois Xinhua. « Le transport par voie d’eau le long du Yangzi Jiang devrait être géré correctement pour réduire le bruit qui a gravement affecté la vie de ces dauphins qui s’orientent grâce aux sons […]. La protection duYangzi Jiang devrait inclure l’eau, les berges et les zones humides le long de son chemin, car l’écosystème est un tout », poursuit-il. « Je suis optimiste que si l’environnement continue de s’améliorer, les baijis reviendront. »
Mais la NOAA et l’UICN se font moins optimistes. Une revue du statut du baiji, publiée par la NOAA en 2012, conclut que : « bien qu’il y ait encore quelques individus dans le fleuve Yangzi Jianget ses affluents, il est peu probable que ces individus puissent perpétuer l’espèce, compte tenu des menaces existantes dans le fleuve Yangzi Jianget du potentiel de survie des petites populations. »
Selon le dernier rapport de l’UICN, publié en décembre dernier, les processus qui menaçaient gravement la survie des baijis sont toujours présents. L’habitat du baiji reste très dégradé et dangereux pour les autres espèces riveraines. Ceci est démontré par le fait que le marsouin aptère, le seul marsouin d’eau douce de la planète, qui vit dans la même zone géographique que le baiji, poursuit son déclin et est en danger critique de disparition, comme de nombreuses autres espèces animales du fleuve Yangzi Jiang. Le prochain défi est donc d’empêcher que ces populations connaissent le même sort que le baiji.