Ce jour de congé s’annonce particulier. Avec Yael, également saisonnière au GREMM cet été, on va bien marquer le coup de notre dernière semaine de travail au sein de l’équipe. Nous accompagnons notre collègue Michel Martin, naturaliste au Centre d’interprétation des mammifères marins (CIMM) pour l’aider à nettoyer et dépecer des squelettes de baleine!
Après un arrêt à l’entrepôt pour récupérer le matériel adéquat, nous arrivons à la Ferme 5 Étoiles. Le vaste terrain où nous nous trouvons sera notre bureau pour les deux jours à venir. Il pleut des cordes et il fait vraiment froid. La grisaille et les paysages d’automne aux alentours donnent une atmosphère digne des films d’horreur. C’est au milieu de ce décor que nous enfilons tous les trois nos protections intégrales. Nous avons des combinaisons neuves avec Yael, sentant encore la propreté de vêtements non utilisés… mais pour combien de temps? Je plains d’avance les prochains collègues qui récupéreront nos habits pour poursuivre notre macabre tâche, avec l’odeur de baleine qui sera bien imprégnée sur les vêtements d’ici là.
Une fois les préparatifs finis, Michel nous fait signe de nous approcher autour d’une première cuve blanche. À l’intérieur se trouve une carcasse de dauphin à nez blanc en décomposition, qui a été dépecé par l’équipe de l’an passé. Aujourd’hui, notre objectif est de récupérer tous les ossements de la carcasse en décomposition, de les nettoyer et de les placer dans des plus petits bacs qui seront à l’abri pour l’hiver. Facile non? J’ai cependant oublié un détail : qui dit carcasse en décomposition depuis un an dit vers et asticots. C’est donc au fond de la cuve, au milieu d’un jus de fermentation et de milliers de vers décomposeurs, que nous faisons la rencontre du dauphin à nez blanc.
Michel bascule la caisse sur le côté, faisant écouler un maximum de liquide grisâtre, permettant de rendre accessibles les restes du dauphin. C’était un spectacle un peu répugnant à voir. Mais m’étant porté volontaire pour l’aider dans cette besogne, j’ouvre le bal et plonge ma main pour récupérer les premières vertèbres accessibles. Il faut vraiment bien tout fouiller pour ne pas oublier d’ossements. Le dauphin en question était un juvénile, certaines parties de son squelette, dont les disques des vertèbres, ne sont pas entièrement soudées. Il faut donc porter une attention particulière à n’oublier aucun disque au milieu des asticots.
La cuve bien inspectée, Michel nous tend deux sacs poubelle. Dans l’un se trouve le crâne et les mâchoires supérieures du dauphin. Dans l’autre, les mâchoires inférieures sont toutes édentées. On se lance donc dans un travail de récupération de dents tombées au fond du sac. Un travail plus difficile qu’il n’y paraît, les dents minuscules du dauphin juvénile se confondant au milieu des vers. Pour différencier dents et vers, Michel met au point la technique d’écrasement (qui consiste juste à écraser ladite dent ou vers!) que j’ai également adoptée, permettant d’accélérer notre travail de triage.
Une fois tous récupérés, les os ont été nettoyés et stockés dans différentes boites. Et une carcasse de faite, ouf! Après une pause vraiment courte dû au froid, nous avons tout mis en place pour notre travail du lendemain.
Je regarde la nouvelle cuve que nous venons de préparer. Demain, nous y ferons bouillir une carcasse de béluga. Et pas n’importe lequel. Le béluga en question avait été récupéré par l’équipe d’Urgence Mammifères Marins fin mai sur l’Ile Saint-Barnabé, en face de Rimouski. Avec le reste des saisonniers, nous avons eu l’occasion de voir cette carcasse au cours de notre formation d’arrivée fin mai.
Le lendemain, Kevin (également saisonnier) se joint à notre joyeuse équipe. Sans attendre, nous remettons nos équipements. Après nous être construit une table de fortune et avoir mis la cuve à chauffer, nous nous attaquons au bac où se trouve le béluga. Je m’abstiens des détails de ce à quoi ressemblait le fond de la cuve, car cette fois c’est Kevin qui s’est chargé de récupérer les ossements dedans. Contrairement au dauphin, le béluga n’était pas complètement décomposé, la carcasse ne datant que de mai dernier. Nous avons donc un travail de dépeçage à faire sur cette carcasse aujourd’hui, afin de libérer un maximum d’os de la chair restante. Une fois chacun et chacune avec sa partie de béluga, c’est armé d’un ou plusieurs couteaux que nous nous mettons à la tâche. Les os ou morceaux que nous avons réussi à détacher de la carcasse sont ensuite mis dans la cuve avec l’eau à chauffer, afin que la chaleur aide à ramollir les derniers lambeaux de chair encore présents sur les os.
Nous continuions ainsi notre travail autour de la cuve pendant plusieurs heures. Nous récupérons les morceaux réchauffés de carcasse pour continuer à en retirer un maximum de chair.
Pendant le travail de dépeçage, nous prêtons plus attention aux détails du squelette de béluga. Notamment à sa colonne vertébrale, car ce béluga avait une scoliose. Une partie de ses vertèbres présentaient une malformation asymétrique, en plus de deux vertèbres soudées entre elles. Il devait être difficile de vivre avec cette grosse malformation, surtout que ce béluga était un adulte!
À cause du froid qui persistait, l’eau de la cuve avait du mal à bouillir, rendant notre travail plus difficile. Après plusieurs heures de tentatives de dépeçage, des courbatures commençaient à se faire sentir aux épaules à force de couper. Nous décidons donc d’arrêter notre besogne et de laisser les autres collègues s’en charger demain… On en a fait le plus gros mais bon courage à eux!