Lors de son dernier entretien avec une stagiaire de Baleines en direct à l’automne 2018, Michel Martin, naturaliste sénior au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), nettoyait des os et commençait tout juste à reconstituer les corps de baleines, aidé par son collègue Patrick Bérubé, monteur de squelettes. Leur but : préparer trois nouveaux squelettes pour le Centre d’interprétation des mammifères marins (CIMM) à Tadoussac, qui s’ajouteront à la plus grande collection de squelettes de baleines montés du Canada! Depuis, les deux spécialistes ont presque mené à terme leur fastidieuse entreprise, et la stagiaire qui les a interviewés a changé de visage. Je me suis entretenue avec Michel afin de préciser les tâches qui les attendront d’ici l’inauguration de l’exposition au printemps et de dresser un bilan de cette belle aventure qui a duré plus de deux ans.
«Job de bras» et minutie
L’immense garage, situé au Domaine des ancêtres de la Ferme 5 étoiles à Sacré-Cœur, a autrefois accueilli des tonnes de pommes de terre, puis des motoneiges. À l’heure actuelle, il est parsemé de vertèbres, de cages thoraciques, de crânes et de divers os de baleines bien triés parmi lesquels on navigue avec difficulté. Ces os seront préparés et emballés afin d’être transportés sans risque de se rompre jusqu’au CIMM, là où les deux hommes s’attaqueront au montage officiel. Certaines parties, telles que les nageoires pectorales ou les sections arrière de la queue du rorqual commun, ont été assemblées dans l’atelier et nous permettent déjà d’imaginer les grands corps qui habiteront l’espace muséal.
À la fois calmes et fébriles, Michel et Patrick s’attaquent maintenant aux armatures matérielles, composées d’acier et élaborées avec la collaboration d’ingénieurs, afin de s’assurer que les squelettes tiennent bien en place, même en cas de séisme. Ces derniers préparatifs marquent le point final du temps passé à l’entrepôt, puisque le reste du travail sera accompli au CIMM. C’est avec nostalgie qu’ils quitteront cet espace adapté sur mesure aux besoins de leur projet, sans toutefois regretter ses nombreux changements de température ou ses odeurs de pourriture!
Michel sourit en se rappelant l’état initial de leur «paquet d’os» désordonné. Il fallait mettre en ordre les os en les déplaçant, tâche ardue qui a nécessité une certaine mise en forme chez les deux hommes. Imaginez : 14 côtes de baleine de 15 à 25 kilos chacune, soulevées une par une sur le sol de l’entrepôt. Un véritable marathon! Cette «job de bras» s’est alliée à un travail minutieux d’agencement, d’analyse et de réflexion, tout aussi important.
Reconstituer des histoires de baleines
Grâce à ses nombreuses années de travail au GREMM, Michel a eu l’occasion d’observer des centaines de baleines, et a déjà assemblé les squelettes de petits mammifères marins, mais ce projet d’envergure constitue une première dans sa carrière. Je lui demande si sa perception des cétacés a changé depuis qu’il a pu manipuler leur squelette. «C’est certain que c’est spécial de voir toute l’anatomie de la baleine. On réalise vraiment les particularités de chaque individu.» Ainsi, sur le squelette de Piper, baleine noire de l’Atlantique Nord vedette bien connue par les amateurs, on distingue une calcification qui aurait pu être causée par une collision avec un bateau, et sur le crâne de la baleine à bosse, une délamination qui nous laisse deviner une infection. «La reconstitution du squelette d’un mammifère marin, c’est aussi la reconstitution de son histoire», relate Michel.
On sait déjà de quoi aura l’air la disposition des trois géants: la baleine noire de l’Atlantique Nord sera au sol, sous le rorqual commun qui sera suspendu, tandis que la baleine à bosse trônera entre les deux à la verticale et en position d’alimentation. Mais pour l’instant, il faut attendre que les travaux soient terminés au CIMM, et attendre les autorisations des ingénieurs avant de commencer le montage final. Les squelettes pourront être observés et touchés par les visiteurs ce printemps.
Malgré leur hâte de mener à complétion ce projet, Michel et Patrick anticipent aussi sa fin, par attachement à ces squelettes qu’ils ont côtoyé pendant plus de deux ans, auxquels ils ont su redonner vie par l’entremise de leur travail acharné, de leur ambition et de leurs récits.
Merci à Sylvain Fortier et Sandrine D’Anjou Dumas, qui ont également participé à la reconstitution des trois squelettes.