Le Saint-Laurent : source des premiers bélugas en aquarium

Les premières tentatives de garde de bélugas en aquarium datent des années 1860 dans le Barnum’s American Museum, au cœur de Manhattan, New York. Capturés à Rivière-Ouelle et à L’Isle-aux-Coudres, dans l’estuaire du Saint-Laurent, ces animaux sont envoyés en train jusqu’à New York. On estime qu’entre 1860 et 1965, une trentaine de bélugas ont ainsi été acheminés aux États-Unis, selon le rapport intitulé Un examen de la capture et de la mise en captivité de mammifères marins au Canada, déposé au ministère Pêches et Océans en 1999.

Fred Mather, qui fut en charge du soin de plusieurs bélugas du Saint-Laurent aux États-Unis, relate en 1899 dans le Popular Science Monthly:

« En 1877, j’étais responsable de leur aquarium à Coney Island. Aux deux endroits [le grand aquarium de New York et celui de Coney Island], nous avions beaucoup de baleines blanches [bélugas] à différents moments, car la direction gardait des baleines dans des enclos dans le fleuve Saint-Laurent pour remplacer celles qui mourraient et on n’en montrait au public jamais plus de deux à la fois, prétendant qu’elles étaient des animaux rares et qu’on pouvait seulement s’en procurer à un prix énorme. […] Il ne fallait pas que le public sache qu’elles étaient communes pendant l’été dans le Saint-Laurent et lorsqu’une [baleine] devenait faible, une autre était envoyée, et le public supposait que la même paire était en exposition tout le temps ».

Ces bélugas ne vivaient guère plus de quelques mois, mais le fleuve semblait alors une source presque inépuisable de nouveaux sujets.

La capture d’un béluga dans le Saint-Laurent est racontée dans le court métrage documentaire Le Beau Plaisir (1968) de Michel Brault, Bernard Gosselin et Pierre Perreault. Perreault et ses compagnons avaient convaincu d’anciens chasseurs de L’Isle-aux-Coudres d’y «retendre» la pêche aux marsouins, c’est ainsi qu’on appelait alors les bélugas, après quelque 30 années d’inactivité. La chasse aux bélugas y est vue comme un «beau plaisir», qui est même encore plus «plaisant» lorsqu’il s’agit de le capturer vivant pour les aquariums. Alexis Tremblay explique que «c’est une tradition qui doit se garder tout le temps… mais coudonc, peut-être qu’il viendra des règnes. […] On s’apercevra, vois-tu, qu’on est un peu dépassé aujourd’hui». Ce pêcheur avait bien vu : il venait d’envoyer à l’Aquarium de New York le dernier béluga capturé dans le Saint-Laurent. Leur chasse dans le fleuve fut interdite en 1979 et la fin des captures pour exportation pour l’ensemble du Canada sera décrétée en 1992.

Si les captures avaient cessé dans le Saint-Laurent, les aquariums états-uniens et canadiens ont continué de s’approvisionner en bélugas de la baie d’Hudson, à partir de Churchill, au Manitoba. Entre 1967 et 1992, 68 bélugas seront ainsi prélevés de leur milieu naturel.

Au Canada, l’Aquarium de Vancouver sera le premier à garder des bélugas en captivité. Deux bélugas pris accidentellement dans une pêcherie en Alaska arrivent dans les bassins de Colombie-Britannique en 1967. D’autres viendront ensuite de Churchill. Avec le décès des deux derniers bélugas encore à Vancouver en décembre 2016 et la décision récente de la Commission des parcs de Vancouver d’y interdire l’importation et l’exposition de cétacés, c’est une page d’histoire qui se tourne.

Un seul autre établissement canadien garde encore des bélugas en captivité, soit le parc d’attractions Marineland, en Ontario. Il s’y trouverait environ 50 bélugas, quelques dauphins, ainsi qu’un épaulard. Mais pour combien de temps encore?

Les temps changent

Depuis les années 1990, des mouvements militants pour les droits des animaux ont augmenté leurs pressions auprès des gouvernements et des institutions pour faire cesser la garde d’animaux en captivité. L’interdiction des captures pour exportation au Canada marquait en 1992 le début de la fin. L’Aquarium de Vancouver a été le premier au monde à s’engager à ne plus capturer ou à ne plus causer la capture de cétacés sauvages en 1996. Au cours des vingt dernières années, au moins sept pays (l’Inde, la Croatie, la République de Chypre, la Slovénie, la Suisse, le Chili et le Costa Rica), ainsi qu’un état états-unien (la Caroline du Sud) ont interdit l’importation ou la capture de cétacés vivants, la captivité ou l’utilisation de cétacés à des fins commerciales ou de divertissement.

Le documentaire Blackfish, paru en 2013, a participé à créer un mouvement de sympathie pour les cétacés en captivité. Avec des millions de dollars en retombée au box-office et des millions de visionnements entre autres sur la plateforme Netflix, il a certainement su attirer l’attention sur le sort des épaulards, mais également des dauphins et des bélugas.

Aujourd’hui, il ne reste qu’en Russie, dans la mer d’Okhotsk, où des bélugas sont capturés pour l’exportation. Après un vif débat qui se prolongeait depuis plusieurs années, les États-Unis ont interdit l’automne dernier l’importation de bélugas sauvages provenant de la Russie.

Au Canada aussi, les règles du jeu pourraient continuer de changer : un projet de loi proposé par l’honorable sénateur Wilfred Moore, le projet de loi S-203 (première lecture en décembre 2015), propose de mettre fin graduellement à la captivité des cétacés au pays. Approuvé en octobre 2018 par le Sénat, le projet de loi sera étudié au printemps par la Chambre des communes. S’il est adopté, il interdira la reproduction, l’importation, l’exportation et la capture des cétacés au Canada, mais permettra le sauvetage et la réadaptation d’animaux blessés, qui peuvent servir à des travaux de recherche scientifique s’ils ne peuvent retourner dans leur habitat naturel. Pour ce qui est des baleines et dauphins actuellement en captivité, les propriétaires pourraient les conserver, notamment à des fins scientifiques, mais ne pourraient pas les reproduire.

Texte écrit en collaboration avec Robert Michaud et Marie-Ève Muller et publié pour la première fois en octobre 2017. Mis à jour en octobre 2018. 

Actualité - 25/10/2018

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

Articles recommandés

Meredith Sherrill : un exemple de ténacité pour travailler avec les baleines!

Pour travailler sur les baleines, son parcours s’est tracé entre la Californie, le Michigan, l'Écosse, pour finalement l'amener au Québec!…

|Actualité 7/3/2024

La réduction de vitesse en présence de baleines fait ses preuves

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi des limites de vitesse sont imposées dans certains secteurs de navigation? Une partie de la…

|Actualité 29/2/2024

L’encourageante histoire écologique de la baleine grise

Chacune à leur façon, toutes les espèces de notre planète doivent composer avec les conséquences de l’action humaine, traçant ainsi,…

|Actualité 22/2/2024