Par Élizabeth Melis

Depuis juin, j’embarque régulièrement sur les embarcations de croisières d’observation des baleines pour documenter les grands rorquals se trouvant dans le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. Certaines sorties commencent bien tranquillement, pour se transformer rapidement en une expérience mémorable. Voici le récit de celle du 5 juillet en après-midi.

Nous sommes au large de l’ile Rouge avec de belles conditions d’observation : un léger vent avec peu de vagues.  Nous sommes en présence d’un petit rorqual ainsi que d’un rorqual commun. Ce dernier semble se reposer, car lorsqu’il vient respirer, il sort très peu de l’eau, ne me laissant pas voir son chevron. Un chevron est un patron de coloration se trouvant en arrière de l’évent. Il est plus proéminent sur le flanc droit que sur le gauche et est composé de lignes grises, blanches, brunes ou noires. Le chevron est unique à chaque individu et il est donc nécessaire de le photographier pour pouvoir identifier l’individu.

Quand le rorqual commun plonge, il ne va pas à de grandes profondeurs, car il n’arque qu’à peine son dos. Ainsi, on ne voit pas son pédoncule, la partie du dos qui se retrouve après la nageoire dorsale. Une autre caractéristique qui me permet d’identifier ce comportement est le fait qu’entre ses séquences respiratoires, il se déplace sur de très courtes distances, ce qui va de pair avec ses plongées peu profondes.

Quelques minutes s’écoulent, puis notre rorqual commun refait surface et il me semble plus réveillé qu’auparavant, donc j’en profite pour prendre quelques photos dans l’espoir de pouvoir l’identifier une fois revenue de ma sortie. Et, hop!, il est reparti! En attendant le retour éventuel de notre lévrier des mers, surnom que l’on donne à cette espèce dû au fait qu’elle peut se déplacer à une vitesse de 40 km/h lors de grands déplacements, je garde les yeux rivés sur l’eau, lorsque du coin de l’œil, j’aperçois quelque chose de gros et noir au loin dans les airs. Je me retourne pour mieux l’observer, mais je ne le vois plus. Qu’est-ce que ça pourrait être? Quelques secondes passent, puis j’ai rapidement la réponse à ma question : c’est un petit rorqual qui saute! On appelle ce comportement «breach». Si les petits rorquals sont reconnus pour leurs prouesses aériennes, ce n’est pas un comportement qu’on observe tous les jours!

J’oublie le rorqual commun, mon attention est toute attirée par ce spectacle qui amasse un public croissant. Les sauts continuent de se multiplier, il doit donc être rendu à une vingtaine de sauts. Je ne peux m’empêcher d’immortaliser ce super spectacle. Il y a tellement peu de temps entre les sauts qu’on croirait qu’il y a deux individus, mais non, c’est toujours le même qui fournit autant d’efforts, comme on peut le voir par son ventre rosé. Cette couleur est liée à la forte circulation sanguine stimulée par les sauts. Malheureusement, la croisière tire à sa fin, nous devons quitter la zone d’observation et céder notre place à d’autres bateaux qui eux aussi veulent voir les acrobaties. Au moment de notre départ, j’avais dénombré un total de 50 sauts, mais il a surement dû continuer par après. Qui sait combien de sauts il a véritablement effectués? Une sortie qui semblait bien tranquille au départ s’est rapidement transformée en l’une des plus divertissantes de la saison.

Carnet de terrain - 18/7/2019

Équipe du GREMM

Dirigée par Robert Michaud, directeur scientifique, l’équipe de recherche du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) étudie en mer les bélugas du Saint-Laurent et les grands rorquals (rorqual à bosse, rorqual bleu et rorqual commun). Le Bleuvet et le BpJAM quittent chaque matin le port de Tadoussac pour récolter de précieuses informations sur la vie des baleines de l’estuaire du Saint-Laurent.

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