Louis Fortier, scientifique spécialiste de l’Arctique, invité par l’équipe du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, a livré une conférence aux Escoumins lors de son passage dans la région le 26 août. Pendant une heure, il a emmené son auditoire en Arctique, à travers les photos, graphiques et vidéos tirés de ses recherches.

La photo titre de la conférence, projetée sur le grand écran, saisit les invités quand ils s’installent dans la salle du Centre de découverte du milieu marin (CDMM) des Escoumins. Des morses sont regroupés, serrés les uns contre les autres, sur un morceau de banquise aussi étroit que mince. Ce couvert de glace ressemble plus à un radeau prêt à sombrer qu’à une véritable portion d’habitat pour mammifères marins. En une image, le ton est donné pour cette conférence intitulée « Réchauffement arctique: les écosystèmes marins sur la ligne de feu ».

L’Arctique passe au rouge

« Les températures de la basse atmosphère se réchauffent, entraînant des changements rapides sur toute la planète, annonce Louis Fortier (directeur scientifique d’ArcticNet et leader scientifique du brise-glace de recherche Amundsen) en début de sa conférence. Mais en Arctique, c’est plus rapide qu’ailleurs: 2 à 3°C d’augmentation en moyenne annuelle. Selon les prédictions des scientifiques pour 2070, basées sur les résultats de la plupart des modèles informatiques travaillant sur le climat, l’augmentation de la température moyenne annuelle atteindra 5°C en même temps que le CO2, principal gaz à effet de serre, aura doublé. »

Pour revenir tout de suite à la réalité sur le terrain, Louis Fortier projette l’animation d’une carte mondiale des températures, réalisée par les scientifiques de la NASA sur une période allant de 1880 à 2011. Depuis les années 1990, la carte se teinte de plus en plus de jaune partout sur la planète et surtout en Arctique, puis de rouge qui symbolise des températures anormalement élevées.

Banquise en voie de disparition

Chaque année, en septembre, la superficie de la banquise qui recouvre l’océan polaire est à son minimum, et c’est à ce moment-là de l’année que les scientifiques font leurs relevés pour les comparaisons annuelles. De 9 millions de km2 de glace de mer des années 1920, la surface de la banquise est passée à 4 millions de km2 en 2012, l’année record pour sa fonte.

Son épaisseur, de 16 000 km3 (avant 1980) à 4 000 km3, a subi une perte de 82 %. En suivant la courbe du graphique et les prévisions, l’océan Arctique sera libre de glace en fin d’été, pour une période de quelques jours ou quelques semaines, ceci pour la première fois depuis probablement 13 millions d’années.

Dans le faisceau des changements se trouvent d’autres éléments:
• régression des glaciers;
• disparition des plateaux de glace côtiers (ces plateaux ne sont pas de la banquise mais l’extension des glaciers terrestres);
• déstabilisation du pergélisol (partie du sol gelé pendant plus de deux années consécutives) qui se manifeste de manière spectaculaire avec la création de rivières et ruisseaux;
• accélération de la fonte de l’inlandsis, cet immense glacier épais de quelque 3 km à certains endroits. Si l’inlandsis fondait entièrement, cela provoquerait une hausse du niveau des océans de 7 m dans le monde entier.
• acidification des eaux avec l’augmentation du CO2;
• introduction d’espèces envahissantes qui peuvent être toxiques ou prédatrices des espèces de l’Arctique;
• libération du méthane présent dans les sédiments marins dans l’atmosphère.

S’adapter

Ces modifications entraîneront un déficit des services écologiques, « un paquet de problèmes pour les gens de l’Arctique », commente M. Fortier, pour les 51 communautés inuites bâties sur le pergélisol côtier. Ces natifs de l’Arctique devront relever de nombreux défis pour s’adapter, du point de vue social, économique et culturel, de la santé, des transports. Certaines activités de leur mode de vie traditionnel, comme la chasse et les déplacements sur la banquise, sont déjà remises en cause.

Des menaces se profilent pour la faune arctique, marine ou terrestre, ces hyper spécialistes adaptés à des conditions extrêmes. Quand la couche de surface se réchauffera, l’océan Arctique sera plus productif, et les espèces plus généralistes du Sud telles que le capelan et le lançon, provenant de l’Atlantique et du Pacifique, pourront rejoindre ces habitats et s’y adapter.

La perte des espèces spécialisées

Pour expliquer la perte de biodiversité qui est à craindre chez les espèces hyper spécialistes de l’Arctique, Louis Fortier livre une sorte de mini cours professoral. Trois écosystèmes relativement simples – car il y a peu d’espèces – existent en Arctique. Ils vont subir des changements rapides et des déséquilibres. L’écosystème pélagique, qui vit dans la colonne d’eau (en dehors du fond marin et des côtes), est constitué de copépodes et d’euphausides qui nourrissent les baleines (bélugas, narvals, phoques), la morue arctique et les oiseaux marins.
L’écosystème sympagique, lié au couvert de glace, produit en avril et mai du phytoplancton (algues de glace, diatomées). Avec la fonte de la banquise, sa productivité diminuera et l’écosystème risque même de disparaître. Quant au à l’écosystème benthique (sur le fond) pourrait être lui aussi menacé.

Pendant la période de questions, un des invités a demandé à Louis Fortier si la fonte de la banquise affecterait le courant du Labrador et la dynamique des eaux dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent]. Écoutez la réponse de Louis Fortier (environ 1 minute):

Depuis 2013, l’équipage de l’Amundsen, avant de partir pour chaque expédition pour l’Arctique, s’entraîne, teste les apparaux du navire et réalise des échantillonnages dans l’estuaire du Saint-Laurent pendant quelques jours.

On a aimé regarder

Sur le site de Gentside :

Revivez en 30 secondes 130 ans du réchauffement climatique de la Terre (vidéo de 30 s)

En savoir plus

Sur le site de Arctic Net:

L’écosystème de la morue arctique (Boreogadus saida) sous la pression des changements climatiques et de l’industrialisation

Sur le site de Nature.ca:


Comment se forme un écosystème de glace? (animation de photos)

Sur le site de Baleines en direct:

Les changements climatiques (archives Actualités d’ici et d’ailleurs)

Le Saint-Laurent des baleines, piège à plancton

Actualité - 30/8/2014

Christine Gilliet

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