Par Christine Gilliet

De « menacée », la situation de la population deviendra « préoccupante », selon le décret du gouvernement fédéral canadien. La population se porte mieux, mais son habitat ne sera plus protégé en vertu de la LEP, ce qui ouvre la voie aux navires pétroliers vers l’oléoduc Northern Gateway.

Ces rorquals ont été intensivement chassés au siècle dernier. En 1966, année de l’arrêt de la chasse commerciale, il était estimé qu’il n’en restait que quelques centaines. Les données d’estimation de cette population ont été récoltées à partir du début des années 1990. Elle a été inscrite comme espèce « menacée » à l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril (LEP) en 2005.

Le long processus de la nouvelle classification

Depuis l’arrêt de la chasse, elle aurait augmenté d’environ 4,9 % à 6,8 % par an, selon le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), l’organisme scientifique consultatif indépendant dont le rôle est entre autres de déterminer si les espèces sont en péril ou non. En 2006, le COSEPAC a évalué qu’elle comptait 18 000 individus matures. Dans les eaux côtières de la Colombie-Britannique, une aire de distribution estivale de la population du Pacifique Nord, un effectif de 2 145 individus a été recensé entre 2004 et 2006, avec un taux de croissance estimé à 4 % par an. Ce nombre reste bien inférieur à celui des 4 000 individus qui croisaient dans ces eaux avant les années 1900 et le début de la chasse.

Avec cette forte augmentation et un nouvel examen en mai 2011, le COSEPAC a considéré que la situation de la population était préoccupante et non plus menacée. Selon le processus législatif, c’est au gouvernement fédéral de modifier l’inscription de l’espèce à l’annexe 1 de la LEP. Le décret de cette modification n’a été publié que le 19 avril 2014. Entretemps, une demande de réexamen est intervenue, car des spécialistes ont émis des préoccupations, considérant que des données essentielles n’avaient pas été prises en compte par le COSEPAC. Pour eux, ces données justifieraient la désignation de deux populations distinctes dans les eaux canadiennes. En décembre 2013, le COSEPAC a maintenu son évaluation de la population en tant qu’une seule unité.

Le rempart d’un habitat protégé

Avec cette classification, l’habitat des rorquals à bosse dans les eaux canadiennes ne devrait plus être légalement protégé en vertu de la LEP. Pour sa protection, la Loi sur les pêches et le Règlement sur les mammifères marins continueraient de s’appliquer, et un plan de gestion de la population, avec des mesures de conservation, devrait être élaboré dans les trois ans après sa classification.

Ce changement de statut et le fait que l’habitat du rorqual à bosse ne serait plus protégé interviennent dans le contexte du projet de construction de l’oléoduc Northern Gateway qui achemine du pétrole en provenance de l’Alberta vers la ville portuaire de Kitimat en Colombie-Britannique. De Kitimat, quelque 250 navires chargés de pétrole partiraient chaque année et croiseraient dans le Douglas Channel les zones essentielles de l’habitat du rorqual. Ces superpétroliers, de très grands tonnages (mesurant 350 m de longueur et 65 mètres de largeur), navigueront dans un dédale de bras de mer très étroits pour rejoindre le large.

Des risques accrus et un tollé

Cet accroissement du trafic maritime vient s’ajouter aux risques qui pèsent sur les rorquals à bosse, déjà victimes de collisions avec les navires et d’empêtrement dans des engins de pêche. Le passage de ces navires géants entraînera une pollution sonore plus importante, avec des risques de déversements pétroliers en cas d’accident et de pollution de leur habitat et de leurs ressources alimentaires.

Des groupes de défense de l’environnement réagissent vivement, considérant que cette classification du rorqual à bosse est une manœuvre politique destinée à favoriser l’approbation du projet de l’oléoduc, pour lequel le gouvernement fédéral doit donner sa décision d’ici le mois de juin.

En janvier dernier, quatre groupes (Living Oceans Society, Ecojustice, ForestEthics Advocacy et Raincoast Conservation Foundation) ont entamé une poursuite en justice contre le projet estimant que le rapport destiné à soutenir l’approbation du projet ne prenait pas en considération les mesures de protection des rorquals à bosse contenues dans la LEP.

Andrew Trites, membre du sous-comité de spécialistes des mammifères marins du COSEPAC, estime que le changement de statut du rorqual à bosse du Pacifique Nord est justifié. Il remarque cependant que le gouvernement fédéral est habituellement lent à réagir lorsque le COSEPAC recommande de mieux protéger une espèce en lui accordant un statut plus critique, alors que la décision de modifier le statut du rorqual à bosse a été très rapide. Il regrette que la protection d’un habitat ne repose que sur le statut d’une espèce en péril, alors qu’il faudrait considérer l’ensemble de ses caractéristiques et le protéger globalement.

Le rorqual à bosse du Pacifique Nord est un grand migrateur. Son aire de répartition s’étend sur toute la longueur de la côte ouest de la Colombie-Britannique, jusqu’au nord-ouest de l’Alaska. On le trouve dans des bras de mer côtiers et dans des zones plus ouvertes. Dans les eaux canadiennes, les rorquals à bosse sont observés le plus fréquemment entre mai et octobre, leur saison d’alimentation.

Actualité - 25/4/2014

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