Scientifiques, experts de la conservation et industriels pétroliers publient les résultats de l’étude sismique menée près de l’île Sakhaline. Ils proposent un guide pratique pour une exploration responsable, réduisant la nuisance sonore.
Des scientifiques et experts du Western Gray Whale Advisory Panel (WGWAP) de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et le groupe pétrolier Sakhalin Energy Investment Company Ltd ont collaboré pendant six ans (de 2006 à 2012) pour mettre en place des actions visant à minimiser l’impact des levés sismiques sur les baleines grises de la région du nord-est de l’île Sakhaline. Leurs résultats ont été livrés dans une étude publiée récemment dans la revue Aquatic Mammals. Ils sont assortis d’un guide d’actions à réaliser par étapes, qu’ils qualifient de feuille de route pratique pour planifier, réaliser, évaluer et améliorer l’exécution d’une étude sismique responsable.
Des baleines en danger et des sons explosifs
Cette région de la mer d’Okhotsk, près des côtes de la Russie, est fréquentée par une population de baleines grises (Eschrichtius robustus), appelées les baleines grises du Pacifique du Nord-Ouest, qui s’y alimentent pendant l’été. La population est estimée à 130 individus et classée en tant qu’espèce en voie de disparition critique sur la Liste rouge de l’IUCN.
Les levés sismiques sont la première étape d’exploration des fonds sous-marins pour évaluer le potentiel d’hydrocarbures qu’ils contiennent. Des canons à air comprimé tractés derrière un bateau génèrent des ondes sonores explosives de basse fréquence, émises à répétition. Les échos de ces ondes pénètrent les fonds marins et permettent de construire leur profil géologique. Ces nuisances sonores introduites dans l’habitat des mammifères marins les exposent à des stress importants pouvant occasionner des lésions internes et des modifications majeures de leurs comportements. Tout le mode de vie des mammifères marins est régi par la capacité à émettre et recevoir des sons, que ce soit pour la recherche de nourriture, la navigation, la reproduction, la communication entre les individus et la vie sociale des groupes ou des populations. Ces explosions sonores ont également un impact sur d’autres espèces marines, notamment les poissons et les invertébrés.
Une première et une réussite
Selon l’IUCN, ce programme est à ce jour le plus complet à avoir été mis en œuvre, par son approche rigoureuse, pratique et efficace. L’organisation considère qu’il a été couronné de succès et que, selon les analyses actuelles, l’étude sismique n’a pas eu d’impacts directs significatifs sur les baleines grises. En collaboration avec l’IUCN, la compagnie pétrolière a tout d’abord récolté toutes les données disponibles sur la fréquentation de la zone par les baleines et sur les mesures de mitigation à prendre. Sur le terrain, elle a poursuivi l’objectif de réduire la zone d’étude sismique, de cibler la meilleure période de l’année et de diminuer le niveau sonore des ondes émises. Elle a mis en place des moyens de surveillance visuels et acoustiques pour localiser les baleines et différer les émissions sonores en présence de celles-ci, et suivre leurs comportements, avant, pendant et après les levés sismiques.
Un modèle à suivre?
L’équipe du WGWAP propose que le programme qu’elle a développé et mis à l’essai puisse servir de modèle ailleurs. Au moment où le développement des hydrocarbures du Saint-Laurent fait l’objet de débats au Québec et dans les autres provinces du golfe, la question se pose : l’adoption d’une telle démarche pourrait-elle aider à réduire les risques, du moins en ce qui concerne la phase d’exploration par levés sismiques? Selon Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, « La démarche est très rigoureuse, et si on envisage de faire à nouveau de l’exploration sismique dans le golfe, je crois que c’est tout à fait l’approche à adopter. L’application comporte toutefois des défis considérables. »
Les auteurs du programme insistent sur la dangerosité des levés sismiques et sur l’importance de réduire le plus possible l’exposition pour les espèces à protéger. Le moyen pour y parvenir, selon eux, est de recueillir des informations très détaillées sur l’environnement et la biologie de ces espèces. Or, les récentes études, notamment l’Évaluation environnementale stratégique 2 (EES 2) publiée en 2013, pointent le fait que les connaissances actuelles sur les espèces du golfe présentent des lacunes importantes.
De plus, souligne M. Michaud, «dans l’étude de cas présentée par les auteurs, on visait une seule espèce, la baleine grise, qui utilise un habitat côtier bien circonscrit dans le temps et dans l’espace. Un cas relativement simple! Dans le golfe, on retrouve plusieurs espèces de mammifères marins, dont quatre en péril, et un grand nombre de poissons et d’invertébrés d’intérêt commercial qui sont sensibles aux levés sismiques.»
Ainsi, même si on relevait l’imposant défi de combler les lacunes dans les connaissances, Robert Michaud envisage bien des difficultés: « Étant donné la diversité des espèces sensibles à protéger, difficile de croire qu’on pourra identifier un secteur et une fenêtre temporelle où les levés sismiques pourraient être effectués de façon à limiter les impacts à des niveaux acceptables.»
Sources:
Sur le site de l’International Union for Conservation of Nature (en anglais seulement) :
Communiqué
Keeping whales safe in sound
Responsible Practices for Minimizing and Monitoring Environmental Impacts of Marine Seismic Surveys with an Emphasis on Marine Mammals
Pour en savoir plus:
Sur le site d’Actualités News Environnement : Une nouvelle approche pour protéger les baleines des etudes sismiques
Sur le site de La Presse : Compagnies pétrolières: réduire l’impact des relevés sismiques sur les baleines
Sur le site de Moscow Times (en anglais seulement): Worries Over Whale Population Delays Sakhalin Oil Project
Sur le site de Baleines en direct:
L’exporation et l’exploitation des hydrocarbures en milieu marin
Baleines grises du Pacifique du Nord-Ouest (archives des Actualités d’ici et d’ailleurs)
Hydrocarbures (archives des Actualités d’ici et d’ailleurs)