Le long des côtes ou sur l’eau, la faune marine fait vibrer nos sens. Nous observons les corps longilignes des baleines se glissant hors et dans l’eau, les faces moustachues des phoques dévorant un poisson, ou même les envols des oiseaux pélagiques. Nous écoutons les souffles si puissants des grands rorquals, ou les journées calmes, ceux plus timides des marsouins communs. Nous respirons à pleins poumons les embruns salés diffusés par le vent et les algues. Il nous est plus rare au Québec de pouvoir écouter les mammifères marins… et pourtant le monde sous-marin est un monde ancré dans l’ouïe.
Des bélugas allegro
Cette semaine, j’ai moi-même eu l’opportunité d’écouter des bélugas vocaliser sous l’eau. Le troupeau imposant descendait le fjord du Saguenay en direction de l’estuaire. Je pouvais entendre leurs sifflements, claquements, grincements et grognements, lorsque les traversiers étaient à l’arrêt. Surnommé, à juste titre, le canari des mers, le béluga possède une vaste gamme de sons qui pourraient être le résultat de millénaires d’adaptations nécessaires à la vie proche de la banquise, où le bruit ambiant est omniprésent. Pour vous faire une idée de cette richesse acoustique qui peuple le Saint-Laurent, écoutez cet extrait publié par le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.
Des rorquals communs adagio
À Tadoussac, trois rorquals communs sillonnent les eaux du parc marin depuis quelques jours. À travers une nuée de mouettes de Bonaparte, un photographe naturaliste d’expérience observe le rorqual commun Bp959 ainsi que quelques petits rorquals. Les piaillements truculents des mouettes ne sont interrompus que par les souffles grandioses des rorquals, qui résonnent contre les parois rocheuses de l’estuaire, retombant en vapeur d’eau pailletée. Il raconte «L’oiseau est resté bien surpris, il a mis quelques instants à reprendre ses esprits avant de continuer à manger! » . Avec l’hiver qui est à deux pas, la nourriture importe plus que jamais. C’est le temps de faire les dernières réserves! Les individus Nova (Bp013) et Zipper (Bp097) nageaient aussi non loin de là.
Les vocalises les plus fréquemment enregistrées de rorquals communs sont des impulsions situées à environ 20 Hz, au seuil de la perception auditive humaine. Ces cris varient entre 13 Hz et 40 Hz, et les intervalles les séparant varient quant à elles de 6 à 37 secondes. Ces impulsions sont parfois produites en séquences répétitives, créant des séries pouvant durer jusqu’à 32,5 heures, interrompues seulement par les séquences respiratoires de ces baleines marbrées! Ces chants ne seraient effectués que par des mâles!
Un soufflet de rorquals bleus
Aux Bergeronnes, un passionné remarque aussi «depuis la rive très, très, très loin au large un rorqual bleu bien furtif!» Quelques jours plus tôt, une amoureuse de la nature observait « un rorqual bleu près de la Pointe-à-la-Croix aux Escoumins ». Était-ce B103 (Chameau), le fameux rorqual bossu qui a été observé la même semaine? Après cette saison marquée par ce mastodonte des mers – cinq de ces grands rorquals nageaient dans le secteur de Portneuf lors d’une journée de septembre – leur présence dans l’estuaire semble s’atténuer. Dans le monde musical, on appelle un passage crescendo au decrescendo… un soufflet!
Les sons de ces géants – d’une fréquence si basse de 15 à 40 Hz environ – sont souvent en dessous du seuil d’audibilité de nos oreilles. Pour mieux les entendre, des scientifiques vont accélérer ces fréquences afin d’augmenter la hauteur tonale et comprimer le temps. En résultent des sons extraordinaires qui nous font vibrer de la tête aux pieds. Leur répertoire se compose de pulsations, de grognements, de gémissements et de plaintes. Étant parmi les sons les plus graves du règne animal, les vocalisations de ces cétacés sont aussi parmi les plus intenses! Le niveau sonore d’un rorqual bleu vocalisant en Antarctique a été estimé à 189 dB sous l’eau, bien plus puissants que des feux d’artifice (140 dB) ou qu’une plateforme de lancement de fusée (180 dB): un chant qui pourrait fort bien rompre nos tympans!
Un grand chelem fortissimo pour le Mériscope
Au courant d’une sortie exceptionnelle, l’équipe de scientifiques à rencontrer, entre Portneuf-sur-Mer et la Baie-des-Milles-Vaches, « des marsouins, des bélugas, deux petits rorquals, une baleine à bosse, trois rorquals communs et une baleine bleue » ! La vie foisonne encore dans ce secteur!
Des rorquals à bosse slancio
En Gaspésie, un collaborateur du MICS a observé trois rorquals communs et pas moins de cinq rorquals à bosse regroupés au large de la pointe Gaspésienne le dimanche 19 octobre dernier, « dont H692 Paloma qui a été présente dans ce secteur à toutes mes sorties depuis le 5 juillet. Elle aime vraiment le secteur pour y rester toute la saison et depuis plusieurs saisons. »
Des conférences au sujet de l’acoustique ont été présentées lors du 4e congrès mondial des rorquals à bosse, qui s’est tenu à Tadoussac la semaine dernière. Saviez-vous que les chants des rorquals à bosse évoluent alors que de nouveaux émergent? Cela implique que de nouveaux individus apportent leurs propres variations dans les aires de reproduction!
Des petits rorquals presto
Partout dans l’estuaire, le petit rorqual nous fait encore grâce de sa présence. Un habitué de la place nous rapporte entre 5 et 6 individus à Baie-Comeau! Le petit rorqual produit des sons de basse fréquence de 80 à 200 Hz. Selon une étude, il pourrait utiliser des séries de clics de plus haute fréquence (7 500 Hz) que les scientifiques décrivent comme des pings, sortant tout droit d’un film de la Guerre des étoiles. Dans l’estuaire cette petite baleine serait moins loquace que le rorqual commun. Écoutez-le ici!
Des phoques stringendo
À la plage Haldimand, sur la pointe du Cap Gaspé, une Gaspésienne témoigne d’une cinquantaine de phoques gris en chasse au beau milieu des oiseaux marins. Pendant ce temps-là, à Port-Cartier, une observatrice fait état d’une trentaine de phoques communs!
Une quinzaine de dauphins à flancs blancs ont aussi été aperçus par un capitaine de croisières aux baleines au large de la baie de Gaspé.
Les phoques communs font toutes sortes de bruits, tant sous l’eau que sur terre, situés entre 250 et 100 000 Hz. Sous l’eau on parle de rugissements. Hors de l’eau, ils peuvent faire « de brefs aboiements, des cris aigus, des grognements, des grondements, des rugissements, des gémissements et des cris pour appeler leurs chiots », explique le site Ocean Conservation Research. Quant au phoque gris, qu’on surnommait « loup marin », il émet des hurlements semblables à ceux d’un loup ou encore des grognements et autres gémissements. Percussionniste à ses heures perdues, le phoque gris frappe parfois ses nageoires ensembles, produisant un clap puissant sous l’eau!
Pour en savoir plus:
Où sont les baleines cette semaine? La carte des observations
Ces données ont été rapportées par notre réseau d’observatrices et observateurs. Elles donnent une idée de la présence des baleines et ne représentent pas du tout la répartition réelle des baleines dans le Saint-Laurent. À utiliser pour le plaisir!
Cliquez sur les icônes de baleine ou de phoque pour découvrir l’espèce, le nombre d’individus, des informations supplémentaires ou des photos de l’observation. Pour agrandir la carte, cliquez sur l’icône du coin supérieur droit. La carte fonctionne bien sur Chrome et Firefox, mais pas aussi bien sur Safari.
Pour faire apparaitre la liste des observations, cliquez sur l’icône du coin supérieur gauche.
Abonnez-vous à notre infolettre pour des nouvelles de baleines à toutes les semaines!
Merci aux collaborateurs et collaboratrices!
Merci aux observateurs et observatrices qui partagent avec nous leur amour pour les mammifères marins! Vos rencontres avec les cétacés et les pinnipèdes sont toujours un plaisir à lire et à découvrir.
Ce sont vos yeux, sur l’eau ou depuis la berge, qui permettent à cette rubrique de voir le jour.
- Marie-Andrée Charlebois
- Laeticia Desbordes
- Hélène Guitton
- Jade-Audrey Lavergne
- Audrey Leblanc
- Mathieu Marzelière
- Pascal Pitre
- Renaud Pintiaux
- Diane Ostiguy
- René Roy
- Guillaume Savard
- Christine Stadelmann
- Andréanne Sylvain
- Guy Synnott
- Laurence Tremblay
- Marielle Vanasse
Et à tous les autres!
Merci aussi aux équipes qui partagent leurs observations :
Centre d’éducation et de recherche de Sept-Iles (CERSI)
Station de recherche des Îles Mingan (MICS)
Réseau d’observation des mammifères marins (ROMM)
Réseau québécois d’urgence pour les mammifères marins (RQUMM)
Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM)
Mériscope
Vous souhaitez vous aussi partager vos observations?
Vous avez observé des mammifères marins dans le fleuve Saint-Laurent? Qu’il s’agisse d’un souffle au large ou de quelques phoques, écrivez-nous et envoyez-nous vos photos à [email protected]!