La biologiste Valeria Vergara a toujours supposé que les nouveau-nés bélugas produisent des vocalises très peu sonores, les rendant donc particulièrement vulnérables au bruit sous-marin. Grâce à son projet surnommé «Maman, m’entends-tu?», dont les résultats ont été publiés dans la revue Polar Research, on en connait maintenant davantage sur l’intensité des impacts de la pollution sonore sur les capacités de communication des bélugas du Saint-Laurent.

Les données sur le bruit lié au trafic maritime ont été récoltées grâce à un hydrophone plongé dans le Saguenay, à l’entrée de la baie Sainte-Marguerite, une zone du parc marin surtout fréquentée par des femelles et des jeunes. Selon les analyses de la chercheuse et de son équipe, en présence de bateaux, les cris des nouveau-nés seraient audibles à seulement 170 mètres, une réduction de 53% par rapport à leur portée habituelle. Les vocalises des adultes sont, elles aussi, masquées par les bruits ambiants: leur portée passe de 6,7 km à 2,9 km en présence d’embarcations à moteur, une diminution de 57%.

L’étude s’est concentrée sur un type de vocalise bien précis, le cri de contact, qui est essentiel à la communication mère-baleineau et à la cohésion de groupe. «Je ne m’attendais pas à ce que l’impact du bruit soit autant impressionnant!», s’exclame Valeria Vergara.

Se retrouver seul

«Les nouveau-nés bélugas n’ont pas tendance à s’éloigner de leur mère, » explique la chercheuse. « Mais s’il y a du dérangement, ils risquent d’être involontairement séparés.» En effet, face à une impression de danger – un bruit inattendu par exemple – les bélugas peuvent se mettre à nager plus vite ou changer brusquement de direction. Un nouveau-né, qui nage encore maladroitement, pourrait alors ne pas suivre le rythme. «Un veau peut se retrouver à plus de 170 mètres très rapidement», précise la biologiste. Séparé de son troupeau, le jeune béluga pourrait donc avoir beaucoup de difficulté à se faire entendre par sa mère si le bruit des bateaux enterre ses cris. «Les eaux du Saguenay sont très boueuses, poursuit la scientifique.

Les bélugas ne se voient pas, d’où l’importance des sons. Les bélugas utilisent des ondes acoustiques non seulement pour garder contact et communiquer, mais aussi pour trouver de la nourriture, grâce à l’écholocalisation.

La sensibilité des bélugas au bruit n’est plus à démontrer: le dérangement acoustique est même l’une des trois principales menaces au rétablissement de la population de bélugas du Saint-Laurent.

Des cris sophistiqués

Pour une oreille entrainée, les cris de contact sont faciles à reconnaitre. «Ça sonne comme une porte grinçante et rouillée», constate la spécialiste en communication des bélugas. Pour les cris de contacts dits «complexes», qui sont produits uniquement par les adultes et les juvéniles, un sifflement se superpose au grincement. Cette partie plus mélodique a tendance à voyager plus loin que les autres composants du cri de contact .

Les cris de contact englobent une très large gamme de fréquences, et bien que certaines voyagent plus aisément, d’autres sont plus facilement masquées par le bruit ambiant. Dans cette étude, les scientifiques ont estimé la portée du cri de contact d’un béluga avec comme condition qu’au moins une petite proportion de ces fréquences soit détectable par un autre béluga. Ainsi, la portée estimée de communication maximale d’un cri de contact n’est pas atteinte par toutes les fréquences d’origine. Dénué de sa complexité, le cri est-il encore compréhensible par les congénères? Impossible de le déterminer pour le moment. En effet, les scientifiques ne savent pas quelles fréquences sont essentielles pour que le message soit significatif. Si l’entièreté de l’étendue des fréquences est nécessaire, les possibilités de communication des bélugas seraient alors encore plus diminuées que ce qui est rapporté dans cette étude.

Dans tous les cas, c’est en limitant le dérangement par le bruit qu’on peut favoriser la communication des bélugas. C’est d’ailleurs pour cette raison que la baie Sainte-Marguerite est fermée à la navigation pendant la saison estivale. Même si cette mesure ne supprime pas totalement la pollution sonore dans l’espace de vie des bélugas, l’absence de bateaux dans la baie pourrait limiter les risques que les femelles et leur jeune soient séparés.

Actualité - 15/10/2021

Jeanne Picher-Labrie

Jeanne Picher-Labrie a rejoint l’équipe du GREMM en 2019 comme rédactrice à Baleines en direct et naturaliste au Centre d’interprétation des mammifères marins. Baccalauréat en biologie et formation en journalisme scientifique en poche, elle est de retour en 2021 pour raconter de nouvelles histoires de baleines. En se plongeant dans les études scientifiques, elle tente d’en apprendre toujours plus sur la mystérieuse vie des cétacés.

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