L’ile de Terre-Neuve forme un obstacle entre l’Atlantique et le golfe du Saint-Laurent. Si vous êtes une baleine et que vous souhaitez visiter l’aire d’alimentation du golfe ou de l’estuaire, vous avez donc deux options d’entrée: prendre le détroit de Cabot, entre la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve, puis suivre le détroit d’Honguedo, entre la péninsule gaspésienne et l’ile d’Anticosti ou encore prendre par le nord le détroit de Belle Isle, entre le Labrador et la Basse-Côte-Nord et l’ile de Terre-Neuve, et suivre le détroit de Jacques-Cartier, côté nord de l’ile d’Anticosti.
Les résidents de ces secteurs profitent d’une vue sur le corridor d’arrivée des grandes baleines. Le 9 avril à Cap-des-Rosiers, en tout cas, c’est vraiment le cas. Une résidente repère par les fenêtres de sa maison de grands souffles. Elle pointe son télescope et vise le large, à quelques milles de la côte. Patiente, elle laisse les baleines approcher. Le nombre de souffles et la diversité de leur forme augmentent. C’est donc avec excitation qu’elle assiste au passe d’un rorqual bleu, suivi d’une paire de rorquals communs nageant côte à côte. Puis, trois rorquals à bosse à distance l’un de l’autre passent devant sa lentille.
Tout au fil de la semaine, la résidente scrute le large entre ses activités dans l’espoir de revoir les baleines, sans succès. Ont-elles changé de route devant la fraicheur des eaux? Ont-elles poursuivi leur remontée vers l’estuaire? À suivre.
Le 9 avril encore, du côté de l’autre corridor, soit celui du détroit de Belle Isle, devant Blanc-Sablon, un rorqual à bosse croise la route du Bella-Desgagnés, le bateau qui assure le ravitaillement des communautés côtières de la Basse-Côte-Nord. C’est la première baleine croisée sur ce trajet.
Entre Sept-Îles et Pentecôte, Jacques Gélineau sort en mer pour voir si les cétacés y sont. Il parcourt plus de 200 km en ne croisant que deux phoques. «Autant j’ai hâte de retrouver les baleines, autant c’est peut-être une bonne chose qu’elles n’y soient pas encore. Les bouées de casiers de crabe sont partout ici, elles risqueraient de se prendre dans les cordages», constate-t-il. Activité économique importante pour la région, la pêche au crabe n’est pas sans risque pour les baleines. Une étude récente de la Station de recherche des iles Mingan a montré qu’un pourcentage beaucoup plus important que ce qui était pensé auparavant de rorquals communs, de rorquals bleus et de rorquals à bosse portent des cicatrices d’une prise accidentelle, possiblement dans des cordages. En ce moment, le gouvernement du Canada travaille fort avec les pêcheurs et les chercheurs pour trouver des façons de modifier les engins de pêche ou le calendrier des pêcheries pour limiter les risques d’empêtrements pour les baleines.
Des bélugas du Bas-Saint-Laurent à la Gaspésie, en passant par la Côte-Nord
Le 11 avril en matinée, Renaud Pintiaux observe entre 30 et 50 bélugas nageant à quelques milles nautiques au large du quai de la traverse Les Escoumins–Trois-Pistoles. Dans le troupeau, il note des bélugas blancs, donc adultes, des gris, donc jeunes et des bleuvets, soit des baleineaux d’un à trois ans, probablement encore allaités par leur mère. Puis, un béluga le surprend à proximité du quai. Il le photographie, car il semble avoir des marques suffisamment prononcées pour qu’il puisse être reconnu. De retour chez lui, Renaud, qui a été assistant de recherche au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) bien des années, n’a pas besoin de chercher longtemps pour reconnaitre Cumulus!
Né avant 1968, Cumulus fait partie des plus vieux bélugas connus par le GREMM. Déjà, à sa première rencontre en 1980 avec la pionnière de la photo-identification des bélugas, Leone Pippard, et ses collègues, Cumulus avait de profondes cicatrices – voire des trous – sur le flanc. Ces intrigantes marques peuvent être d’origine traumatique (une blessure, un accident) ou infectieuse. Ce qu’on sait, c’est qu’elles n’ont pas empêché Cumulus d’avoir une vie bien remplie depuis plus de 50 ans! Sur la photo, Cumulus a l’air un peu émacié et les marques jaunâtres ne sont pas de bon augure. Toutefois, les chercheurs pensent que les bélugas profitent de la fraie du capelan et du hareng pour reprendre le poids perdu durant l’hiver. Il est donc possible que Cumulus reprenne ses rondeurs au cours des prochains mois.
Justement, des bélugas s’approchent du quai de Rivière-Ouelle, au Bas-Saint-Laurent. Une résidente s’étonne de leur présence si près de la rive. «C’est plutôt inhabituel, car ils ne reviennent plus ici souvent», écrit-elle. Les bélugas, comme les autres espèces de baleines, suivent leurs proies et leur présence y est souvent liée. Le capelan pourrait donc les avoir attirés. Une dizaine de bélugas nagent aussi devant Les Bergeronnes le 13 avril.
Aux Méchins, en Gaspésie, un béluga solitaire traine près du quai le 14 avril. Au printemps, il arrive régulièrement que des bélugas n’avancent pas au même rythme du troupeau qui délaisse le golfe pour passer l’été dans l’estuaire. En soi, ce n’est pas un problème. Par contre, lorsque le béluga reste trop longtemps à proximité des bateaux, il devient à risque d’être blessé par une hélice. Des bénévoles du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins ont fait de la sensibilisation dans la marina. Si vous voyez un béluga alors que vous êtes sur l’eau, prenez en soin, gardez 400 mètres avec lui!
En Gaspésie, enfin, des phoques profitent des dernières glaces pour se prélasser le 7, 8 et 9 avril. Le 10, il ne reste plus de morceaux flottants. Les phoques poursuivent leur nage dans la baie, mais deviennent plus difficiles à repérer.