Il est estimé que les baleines ont atteint leur taille actuelle y a 4,5 millions d’années, alors qu’elles existent depuis environ 30 millions d’années. Sur l’échelle géologique, il s’agit donc d’un changement encore « récent », qui se serait opéré sur une très courte période de temps. On croit que cette évolution fulgurante aurait été provoquée par un bouleversement géo-climatique ayant éloigné les sites ponctuellement riches en proies les uns des autres et ainsi forcé les baleines à accomplir de plus longs voyages. Petit à petit, les individus les plus robustes auraient été favorisés, au détriment des plus chétifs. Afin d’étudier l’évolution de leur gigantisme, des chercheurs de l’université de Berkeley tentent de reconstituer les mouvements migratoires des mysticètes du passé.

Il est possible de déterminer le trajet d’une baleine grâce à ses fanons, qui conservent des traces de la nourriture qu’elle a consommé dans différentes régions. Toutefois, ces lames composées de kératine se fossilisent avec difficulté. Elles ne permettent donc pas d’accéder aux mouvements migratoires d’individus anciens. Contre toute attente, les chercheurs ont plutôt réussi leur voyage dans le passé grâce à un crustacé de quelques centimètres, dont la carapace résiste mieux à l’usure du temps: la balane.

À chaque balane sa baleine

La balane est sessile, c’est-à-dire qu’elle passe sa vie immobile, fixée à un support. Au stade larvaire, elle peut atterrir sur un quai, un bateau… ou sur une baleine! Elle sécrète alors une colle puissante lui permettant de s’ancrer dans la peau de son hôte. On estime qu’elle peut rester environ un an sur son dos, jusqu’à sa mort ou jusqu’à ce qu’elle tombe, ce qui lui laisse amplement le temps de parcourir le monde avec la baleine. Sa carapace, composée de plaques de calcaire construites au fil du temps, permet aux scientifiques de retracer son parcours, grâce à une méthode qu’on nomme «l’étude isotopique». Parmi les balanes de baleines, chaque espèce de balane est associée à une espèce de baleine. Ainsi, en étudiant une espèce particulière de balane déjà tombée, on peut obtenir avec certitude des informations sur la migration d’une espèce de baleine en particulier.

Qu’est-ce qu’une étude isotopique?

Les  éléments chimiques présents dans l’océan peuvent prendre diverses proportions, en fonction de la zone géographique. Par exemple, l’oxygène se décline en 16O, 17O, ou 18O. On nomme ces variantes des isotopes. Puisque la balane construit les couches de sa carapace en absorbant le carbonate de calcium dissous dans l’eau de mer, chacune d’entre elles possède des caractéristiques isotopiques propres à l’endroit où elle s’est formée. Ainsi, en analysant sa composition, on peut déterminer de façon approximative le parcours de la balane et, par le fait même, celui de la baleine qui l’y a amenée.

Migrer à l'ère du Pléistocène

Afin de déterminer si les anciennes populations de baleines effectuaient de grandes migrations, et par le fait même chercher les causes de l’apparition de leur gigantisme, des chercheurs ont utilisé cette méthode sur des plaques de balanes fossiles datant de l’ère du Pléistocène, il y a environ 250 000 ans. Les résultats se sont avérés concluants : les balanes étudiées avaient fréquenté au cours de leur vie des aires océaniques aux caractéristiques isotopiques bien différentes! On a ainsi pu conclure que les rorquals à bosse qui leur servaient d’hôtes parcouraient déjà de longues distances.

Cette nouvelle piste donne un grand coup de queue à la recherche sur l’évolution du gigantisme chez les baleines!

Actualité - 19/3/2020

Gabrielle Morin

Gabrielle Morin s’est jointe à l’équipe de Baleines en direct à l’hiver 2020 en tant que stagiaire. Étudiante en littérature, elle s’implique dans le milieu littéraire de la ville de Québec et écrit à temps perdu. Son amour des baleines est né sur les berges de l’estuaire du Saint-Laurent et l’a poursuivie jusqu’à Lévis. Depuis, elle le nourrit grâce à la lecture d’ouvrages scientifiques et à des expéditions estivales. Elle croit que sa passion de la littérature et des mammifères marins naissent d’une même volonté: capturer, et surtout partager son émerveillement.

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