Par Valérie Jolicoeur, étudiante à la maitrise en écotoxicologie à l’UQAM
Cet automne, je me suis lancée dans un projet de maitrise d’envergure qui porte sur la santé de nos emblématiques bélugas du Saint-Laurent. Bien que le fleuve soit d’une beauté indéniable, sa forte industrialisation expose les bélugas à de nombreux contaminants. Mon directeur de maitrise, le professeur Jonathan Verreault, s’intéresse particulièrement aux retardateurs de flammes, des additifs pouvant se retrouver entre autres dans les meubles, les vêtements, les appareils électroniques et les habits des pompiers. Ceux-ci servent à ralentir la propagation des flammes durant les incendies. Ces contaminants sont connus comme étant des perturbateurs endocriniens chez de nombreuses espèces, c’est-à-dire qu’ils peuvent interférer avec la régulation des systèmes hormonaux. Ainsi, mon projet porte sur l’impact de ces contaminants sur les hormones thyroïdiennes des bélugas. Pourquoi ces hormones? Elles sont suspectées d’intervenir dans le processus de mise bas des bélugas, et leur perturbation par des contaminants pourrait être la cause de la hausse récente de mortalités post-partum des femelles et de leurs nouveau-nés.
À peine deux semaines après le début de ma maitrise à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), me voilà déjà à Tadoussac pour la campagne d’échantillonnage qui s’échelonnera sur trois semaines. Notre objectif: récolter au moins 30 biopsies de bélugas qui nous permettront d’analyser les contaminants et les hormones dans leur gras. Ainsi, je me suis jointe à l’équipage du bateau de recherche du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) le Bleuvet, aux côtés de Michel Moisan, le capitaine maniant avec précision la carabine à biopsie, de Tim Perrero, responsable du drone utilisé pour repérer et filmer les troupeaux, ainsi que des assistants de recherche Mathieu Marzelière et Laurence Tremblay, tous deux armés de jumelles et d’un appareil photo pour repérer les bélugas et participer à la photo-identification.
Lorsqu’un troupeau est repéré, on amorce l’approche d’un individu préalablement photo-identifié. Michel vise alors l’animal avec une carabine modifiée ayant pour munition une fléchette à biopsie qui sera récupérée grâce à un moulinet de canne à pêche. Un véritable combo «chasse et pêche»! C’est ici que j’entre en jeu. Mon rôle est de récupérer la biopsie, de séparer le gras de la peau puis d’entreposer les échantillons de gras au froid extrême dans l’azote liquide et les échantillons de peau dans une glacière, afin de les conserver pour leur analyse.
Notre première journée a été un franc succès: 10 biopsies! Heureusement, j’étais accompagnée d’Alexandre Bernier-Graveline, finissant à la maitrise qui en était à sa troisième campagne d’échantillonnage. Il m’a donc bien montré comment séparer la peau du gras à l’aide d’un scalpel dans mon laboratoire improvisé dans l’étroite cale du bateau! Pas toujours évident d’effectuer ce travail de précisons lorsque les vagues secouent le laboratoire! D’ailleurs, après cette longue journée, j’ai découvert le mal de terre, cette sensation d’être encore bercée par les vagues après être descendue du bateau.
Au bout de trois semaines, nous avons largement dépassé notre objectif avec une récolte de 46 biopsies, et ce, malgré plusieurs journées clouées au sol à cause de vents forts et d’intempéries. Je peux remercier notre talentueux tireur d’élite, Michel Moisan!
Je retourne maintenant à l’UQAM avec ces petits bouts de gras et de peau, en espérant qu’ils me permettent de faire de passionnantes et utiles découvertes. Je garde des souvenirs formidables de ces créatures attachantes. Je me sens privilégiée d’avoir été en contact si rapproché avec cette population en voie d’extinction, d’avoir entendu leurs cliquetis à travers la coque du bateau et d’avoir croisé leur regard vif lorsqu’ils s’approchaient du bateau et nageaient sur leur flanc pour mieux nous observer.