Mieux comprendre les cétacés, pour mieux les protéger, c’est l’objectif de nombreux chercheurs qui travaillent sur les géants des mers. Cependant, certaines méthodes comme les biopsies ou les poses de balises sont intrusives et peuvent perturber les individus étudiés. Déranger les baleines, pour mieux les comprendre, pour ensuite moins les déranger : comment faire face à ce paradoxe?
Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins, explique: «L’acceptabilité d’une étude se base notamment sur notre capacité à répondre à la question suivante: les retombées positives de cette recherche sur l’espèce visée sont-elles importantes en comparaison du dérangement que son protocole occasionne? Cette question est également soumise à des comités pour la protection et l’éthique animal, à Parcs Canada et à Pêches et Océans Canada qui émettent les permis de recherche scientifique.»
Le processus peut s’avérer complexe puisqu’il faut évaluer de nombreuses variables pour lesquelles il n’est pas toujours facile de trouver une pondération. Par exemple, à quel point la douleur passagère que vit l’animal est-elle plus importante à considérer que la perturbation de l’animal par le bruit? Les questions se complexifient lorsqu’il est question d’étudier une population en voie de disparition.
Évaluer les pour et les contre : une tâche difficile
Prenons quelques exemples concrets. On soupçonne que le système immunitaire des bélugas juvéniles est affecté par la charge de contaminants auxquels ils sont exposés. Cela pourrait expliquer pourquoi ces jeunes bélugas meurent d’infections virales ou bactériennes plus que ce à quoi on s’attend d’une population en santé. Or, pour vérifier cette hypothèse, les chercheurs devraient effectuer des prises de sang qui nécessiterait la capture temporaire de bélugas. La chose est possible, mais comporte des risques importants. Les chercheurs jugent que la réponse que pourrait fournir un tel projet n’est pas susceptible d’avoir des retombées positives directes et assez importantes pour contrebalancer les risques de la capture. De plus, dans ce cas, on peut invoquer le principe de précaution et recommander de plutôt poursuivre les efforts de décontamination pour aider au rétablissement des bélugas et à la survie des juvéniles.
En 2015, un autre projet fait l’objet d’une évaluation serrée. Les bouleversements climatiques ont entrainé une forte diminution du couvert de glace dans le golfe du Saint-Laurent. La communauté scientifique soupçonne que cela a également modifié la distribution hivernale des bélugas. Pour mieux comprendre les changements dans les habitudes des bélugas et vérifier si cela les expose à de nouveaux risques, les chercheurs souhaitent suivre les bélugas dans leur migration automnale en plaçant des balises satellites sur leur dos. Les balises doivent être fixées avec de petits harpons qui percent la peau. Cette technique a été utilisée avec plusieurs espèces de petits cétacés et a donné des résultats très encourageants. Malheureusement, la technique présente un risque d’infection. Dans ce cas, il est jugé que les bénéfices potentiels pour la conservation des bélugas seraient assez importants pour contrebalancer les risques. Les chercheurs du GREMM et de Pêches et Océans Canada obtiennent un permis pour faire six déploiements, mais seulement sur des mâles adultes en guise de projet pilote. Finalement, les résultats sont si décevants que le projet est interrompu. Il pourrait toutefois être réévalué si la technologie disponible promettait de meilleurs résultats avec moins de risques.
Un troisième exemple peut être présenté. Depuis deux ans maintenant, les chercheurs de Pêches et Océans Canada placent des balises, cette fois fixées avec des ventouses, sur le dos des bélugas pour mesurer leur exposition au bruit des navires et en évaluer l’impact. Ce projet a aussi fait l’objet d’une évaluation avant qu’un permis de recherche scientifique ne lui soit délivré. Dans ce cas, le niveau de dérangement imposé par les approches répétées pour la pose et le faible impact de la pose elle-même ont été jugés acceptables considérant la valeur des connaissances qui seront acquises. Les résultats pourraient servir à informer les gestionnaires des mesures de protection nécessaires pour atténuer l’effet du bruit sur les bélugas. Dans un projet comme celui-ci, les chercheurs doivent également démontrer qu’il n’y a pas de meilleures alternatives pour recueillir les informations recherchées.
Ces quelques exemples permettent de prendre conscience de l’ampleur de la tâche de ceux qui évaluent l’acceptabilité d’un protocole touchant les cétacés. Les résultats des études sur le dérangement, combinés au développement de nouveaux outils d’observation et d’échantillonnage comme les drones, permettent de limiter de plus en plus l’impact de la recherche sans trop la contraindre ou nuire aux résultats obtenus. D’autre part, les différents acteurs de la recherche scientifique ne sont pas les seuls à étudier les impacts positifs et négatifs de leurs actions. Toutes les activités qui touchent au milieu de vie de ces animaux passent souvent par le même processus de réflexion. C’est le cas notamment des activités d’observation en mer dont nous parlerons dans un prochain article.