Si les humains nettoient la cire qui recouvre leur canal auditif externe (pas avec des Q-tips, n’est-ce pas !), les baleines, elles, restent coincées avec leur cérumen. Il s’accumule et forme des bouchons énormes ressemblant à un croisement entre une corne de chèvre et une chandelle peu ragoutante. Grâce à leur texture huileuse, ces bouchons de cire emprisonnent bien des secrets et sont de véritables archives.

Ce sont ces secrets qui intéressent les chercheurs ! En décortiquant les amas de cire d’oreille des baleines, il est possible de remonter le temps. Une équipe de chercheurs étatsuniens, menée par Stephen Trumble, a d’ailleurs réussi à mesurer le taux de stress de grands rorquals sur plus d’un siècle et demi à l’aide d’une vingtaine de bouchons de cire.

Des étages de cérumen

La particularité de la cire d’oreille des baleines est qu’elle se dépose par succession : tous les six mois, une couche de cérumen recouvre la précédente. Pour les chercheurs, ces lamelles superposées peuvent être lues comme les anneaux de croissance des arbres. Elles permettent de déterminer l’âge de la baleine, mais aussi de connaitre son état de santé et la qualité de son environnement à n’importe quel moment de sa vie.

L’équipe de Stephen Trumble a analysé chaque couche de cire en focalisant sur le stress. «Ce stress, c’est une réaction du corps lorsqu’il se trouve confronté à une menace, que ce soit une agression physique ou une perception psychologique. Chez tous les animaux, le corps se met alors en action soit pour combattre ou pour fuir et, pour y arriver, il produit des hormones, dont l’adrénaline et le cortisol», explique Jonathan Bluteau, spécialiste du stress chez l’humain et professeur au département d’éducation et formation spécialisées à l’Université du Québec à Montréal.

Le taux de cortisol dans le corps, ou plutôt coincé dans le cérumen, est donc un bon indice de l’état de stress d’un grand rorqual. Avec cette information, les chercheurs peuvent déterminer les effets des sources de stress qui touchent les baleines, que ce soit la présence d’un prédateur ou des changements soudains dans l’environnement comme le bruit d’un navire.

Des humains dérangeants

Ce que révèlent les bouchons de cire, c’est qu’il existe un lien fort entre les activités humaines et le stress des grands rorquals. En effet, lorsque l’intensité des activités de chasse à la baleine est élevée, le taux de cortisol l’est lui aussi. Si cette association n’est pas surprenante, elle est bien plus forte qu’on le suspectait ! Dans la décennie 1970, un moratoire international sur la chasse à la baleine est instauré et presque en même temps les niveaux de cortisol des grands rorquals chutent.

Malgré le moratoire, les baleines ne sont toutefois pas sorties d’affaires ! Bien que leur niveau de stress ait considérablement baissé, une tendance inquiétante se profile : le niveau de cortisol augmente continuellement depuis quarante ans. Cette hausse est corrélée avec le réchauffement de l’eau des océans. Indirectement, les changements climatiques, accentués par les activités humaines, semblent toucher les baleines plus qu’on le croyait.

Si l’existence des bouchons de cérumen des baleines est connue depuis longtemps, «ce n’est que la première étude à réussir à quantifier le stress des grands rorquals sur une longue période de temps», note Stephen Trumble. Et il reste encore bien des bouchons à analyser pour que la cire d’oreille livre tous ces secrets !

Actualité - 4/12/2018

Aurélie Lagueux-Beloin

Aurélie Lagueux-Beloin est rédactrice pour Baleines en direct depuis l’été 2018. Aimant autant faire de la science qu’en parler, elle complète sa maitrise en biologie à l’Université du Québec à Montréal ainsi qu’un certificat en journalisme à l’Université de Montréal. Sur les ondes de CISM 89,3 FM, elle coanime l’émission de vulgarisation scientifique Le Lab. Aurélie est touche-à-tout et s’intéresse autant aux baleines qu’aux dinosaures en passant par les bancs de krill!

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