Le 19 mai dernier, je faisais ma deuxième sortie de la saison du côté Atlantique, à la porte de l’estuaire du Saint-Laurent. Je demande la collaboration de deux amis matanais pour m’aider à piloter et prendre mes notes et photos. Je décide avec un certain scepticisme de refaire le même trajet que ma première sortie, qui malheureusement n’avait pas menée à des observations. La surprise fut de taille, je fis plutôt une sortie tout à fait extraordinaire. Avec les baleines, il ne faut rien tenir pour acquis et ne présumer de rien.
À cinq milles nautiques au large de Pointe-des-Monts, j’aperçois un premier grand souffle de rorqual bleu. En nous rapprochant, je constate un petit dos qui apparait plusieurs secondes après le souffle. Je pense un instant qu’il puisse s’agir d’un rorqual à bosse présent dans le secteur compte tenu de l’aspect de ce dos arrondi. Après une douzaine de minutes d’attente, elles reviennent respirer. C’est l’exubérance dans le bateau! Un rorqual bleu avec son baleineau! Dans le Saint-Laurent, cela constitue une observation très rare. Je communique aussitôt la nouvelle à Christian de la station de recherche des îles Mingan (MICS) qui redistribue la nouvelle à Richard Sears, spécialiste des rorquals bleus, qui me contacte par Skype quelques minutes plus tard. Nous sommes en communication vidéo et je peux lui faire voir, avec grand plaisir, cette paire mère-veau. De son œil d’expert, il peut alors identifier B329, un rorqual bleu qui n’avait jamais été biopsié et dont on ne connaissait jusqu’alors pas le sexe. Cette observation constitue le vingt-quatrième baleineau de rorqual bleu enregistré dans le catalogue du MICS en quarante ans, ce qui est très peu par rapport aux autres rorquals. Pour ma part, il s’agissait de ma troisième observation mère-veau de cette espèce. J’avais auparavant rencontré Crinkle en 2003 au large de Matane et B295 dans la baie de Gaspé en 2007 avec leur baleineau de l’année.
Nous avons passé près de 3 heures à observer les comportements étonnants de ce couple, particulièrement la curiosité du baleineau envers nous et l’instinct protecteur de cette mère. Ils plongeaient et refaisaient surface aux 12 minutes. Le sondeur affichait une impressionnante quantité de nourriture, sur une épaisseur de près de 200 mètres. De quoi remettre à niveau l’état de la mère qui se trouve naturellement un peu amaigrie à force d’alimenter ce baleineau qui grossit de 3 à 4 kilogrammes par heure pendant l’allaitement!
Poursuivant notre boucle pour le retour, c’est à une dizaine de milles nautiques au large de Grosses-Roches que j’aperçois un autre grand souffle de rorqual bleu, puis un deuxième. C’est en documentant ces derniers que deux autres grands souffles apparaissent à l’horizon. Il y a donc quatre rorquals bleus dans le secteur, c’est assurément une bonne récolte. Pendant que je prends mes photos, nous observons des petits dos et même des nageoires caudales apparaitre en surface tout autour de nous. C’est un troupeau d’au moins une vingtaine de globicéphales noirs de l’Atlantique qui soudain nous entourent! Leur identification m’est assez facile et rapide puisque j’ai eu la chance d’en rencontrer au large d’Anse-à-Valleau l’an dernier. Voilà une autre observation assez surprenante dans l’estuaire, puisque c’est plutôt une espèce de dauphin océanique qui fréquente aussi le golfe Saint-Laurent.
Une journée mémorable d’une dizaine d’heures sur une mer calme pour effectuer une boucle de 83 milles nautiques avec de belles conditions météo printanières!