Par Albert Michaud
Cet hiver, j’ai eu la chance de quitter le Québec pour aller «dans le Sud». Pas dans les Caraïbes ou en Floride, encore plus au Sud: direction l’Antarctique, une des dernières régions vraiment sauvages de la planète. J’ai eu la chance d’y travailler comme naturaliste sur un navire de croisière.
L’Antarctique est un énorme continent de près de deux fois la taille du Canada. Ce continent de glace est recouvert à 98% par une calotte polaire pouvant atteindre 4000 m d’épaisseur. C’est le courant circumpolaire qui est responsable des températures extrêmes retrouvées en Antarctique, puisqu’il empêche les courants d’eau chaude d’approcher le continent. La large taille du continent le rend impossible à visiter en entier, et la grande majorité du tourisme se concentre sur la péninsule antarctique, la région la plus facile d’accès. Il faut partir d’Ushuaïa, en Argentine, d’où il faut 2 jours en haute mer, à braver un des océans les plus rudes de la planète pour atteindre la Terra Incognita. Ce territoire est donc particulièrement inhospitalier pour la vie terrestre, mais est une des régions les plus riches en vie marine. Que peut-on trouver dans les eaux de l’Antarctique ?
Dès le départ d’Ushuaïa, le navire est entouré de dauphins obscurs «marsouinant» à la recherche de poissons. Au-dessus de nos têtes, des albatros — ces énormes oiseaux qui parcourent l’océan austral — suivent le bateau jusqu’à l’atteinte de la convergence antarctique, où en une dizaine de kilomètres la température de l’eau passe de 10°C à -1°C. Cette barrière naturelle, située autour de la latitude 55˚S, marque notre entrée en Antarctique. À ce moment, il nous reste encore 800 kilomètres avant d’atteindre le continent. Mais déjà, avec un peu de chance, on peut apercevoir d’énormes groupes de rorquals à bosses et de rorquals communs pouvant compter au-delà d’une centaine d’individus.
Les premières traces du continent apparaissent sous la forme d’iceberg tabulaire. Ces géants, pouvant mesurer des dizaines de kilomètres de long et plusieurs centaines de mètres d’épaisseur, sont uniques à l’océan Austral et proviennent des plateformes de glace qui entourent une grande partie du continent.
Le paradis des phoques
À l’approche de la glace, l’observateur attentif découvrira une pléthore de phoques. Trois espèces de phoques dépendent de la glace autour de la péninsule: le très connu phoque léopard et les moins connus phoque crabier et phoque de Weddell.
Le phoque léopard, souvent décrit comme un grand prédateur, mange bien plus que des manchots. C’est en fait un grand généraliste se nourrissant majoritairement de krill, mais également de manchots et même d’autres phoques, comme le crabier et le Weddell. C’est sa grande capacité d’adaptation et sa non-spécialisation qui lui permettent de survivre dans les rudes conditions de l’Antarctique.
Le phoque crabier, lui, est un grand spécialiste se nourrissant à plus de 95% de krill. Non, il ne mange pas de crabe comme son nom pourrait porter à croire. Le nom vient d’une erreur commise par les premiers naturalistes l’ayant d’écrit; ses fèces étant rosâtres laissaient croire qu’il se nourrissait de crabe. Comme le krill est incroyablement abondant dans l’océan austral, les phoques crabiers le sont également. Ils sont en fait un des mammifères les plus abondants de la planète, avec une population estimée entre 15 et 75 millions d’individus. Il est donc quasiment impossible de ne pas voir ces petites bêtes lors d’un séjour en Antarctique.
Mais comment est-ce qu’un phoque avec des dents peut se nourrir de krill? Imaginez-vous essayer de filtrer de minuscules crustacés avec vos dents, ça ne marcherait pas très bien, non ? Eh bien pour contourner ce problème, le phoque crabier a développé une dentition très spécialisée qui joue le même rôle que les fanons des baleines.
Le dernier mais non le moindre est le phoque de Weddell, un vrai dur à cuire. Il reste sur la banquise toute l’année, même au cœur de l’hiver. Pour toujours avoir accès à la surface, les mâles entretiennent des trous dans la glace avec leurs dents. Ils utilisent les trous pour respirer, mais également pour attirer des partenaires : les mâles ayant les meilleurs trous ont plus de chance d’attirer une femelle. Toutefois cette stratégie a un cout énorme pour les mâles. Au fil des années, la glace élime les dents jusqu’à ce qu’elles disparaissent. Édenté, le mâle ne peut plus se nourrir et meurt donc de faim.
Le phoque de Weddell est aussi l’un des plus grands artistes de l’Antarctique, pouvant faire des chants qui paraissent venir d’une autre planète !
Voici donc un petit aperçu de ce que l’on risque fort de voir lors d’un voyage en Antarctique. Il y a évidemment beaucoup d’autres espèces présentes dans les eaux, comme le petit rorqual antarctique et les différents types d’épaulards (j’y reviendrai plus tard), et plusieurs autres espèces de pinnipèdes. Ça fait vraiment beaucoup de stock ! Juste à y repenser, j’ai hâte d’y retourner !
Albert Michaud s’est joint à l’équipe du GREMM en 2017 comme assistant de recherche. Il a auparavant travaillé plusieurs saisons sur les épaulards en Colombie-Britannique. Dans le cadre du programme de recherche à long terme sur le béluga du Saint-Laurent, il participe à plusieurs efforts de recherche avec un accent sur l’utilisation des drones pour l’étude du comportement. Passionné de nature, il partages ses aventures au GREMM et ailleurs sur Baleines en direct.